•  Le cercle - Bernard Minier

    Caractéristiques :

    Genre : Policier

    Grand format : 559 pages / 20,90 €

     

    Résumé :

    Un étudiant d’une prestigieuse école de khâgne du Sud Ouest est retrouvé à moitié drogué dans le jardin de son professeur. La femme a été battue, avant d’être attachée et noyée dans sa baignoire. Groggy et incapable de se souvenir des récents événements, le jeune Hugo est placé en garde à vue. Sa mère n’est autre que l’amour de jeunesse du commandant Martin Servaz, qu’elle appelle à l’aide pour sauver son fils d’une incarcération inéluctable. Mais bientôt, les circonstances du meurtre vont troubler Martin : des traces semblent avoir été laissées à son intention par « Le Suisse », un des plus grand serial killer qui s’en prend exclusivement aux femmes. Le tueur voit en Martin un égal, et entretient à son égard des sentiments fraternels complexes… Margot, la fille du commandant, est quant à elle étudiante dans le même bahut que Hugo et ne tardera pas à mener son enquête afin d’innocenter le jeune homme. Avec l’aide de son ami Elias, elle révèlera une confrérie étrange « Le cercle » née d’une catastrophe des années plus tôt, et à laquelle Hugo ne serait pas étranger…

     

    Avis :

    Bernard Minier est un auteur relativement récent, mais qui est déjà parvenu à se distinguer avec son premier roman « Glacé », qui lui a permis de remporter le prix du meilleur roman francophone du festival Polar 2011 de Cognac… Et l’on comprend pourquoi : son roman est parfaitement exaltant ! Peu versé dans le genre policier, je me suis pourtant surpris à tourner chaque page avec envie et impatience, tentant malgré moi de débusquer le coupable avec le commandant Servaz. Ce qui fait le brio de ce roman est la complexité des personnages qui sont tous plus criants de vérité les uns que les autres : ce sont des êtres torturés avec leurs faiblesses et leurs qualités. A chaque chapitre, le doute est relancé quant à l’identité du meurtrier qui pourrait être n’importe lequel de ces personnages aux facettes sombres. Le héros est perdu, lui-même en conflit avec son passé et incapable de se détacher de ses mauvaises expériences familiales et amoureuses. Seule Margot, sa fille, est sa bouffée d’air frais et lui permet d’aller de l’avant. L’enquête menée sur plusieurs fronts à la fois par Servaz, Margot et Ziegler – une gendarme lesbienne au caractère bien trempé – est dynamique et prenante. Les interludes (récit d’une femme prisonnière dans le cachot de son bourreau) sont emprunts de terreur et d’anxiété et communiquent au lecteur toutes ces émotions qui vous glacent le sang. Et le final reliant ces deux histoires est tout bonnement époustouflant ! L’écriture sans faute est de bonne qualité et le genre est plaisant et spirituel. Les quelques flashbacks sont bien menés et donnent une plus grande dimension aux personnages. Ce roman est un coup de cœur, et m’invite à la lecture de l’œuvre précédente de l’auteur : « Glacé » afin de retrouver un de mes personnages préférés : le commandant Martin Servaz.

    Lien direct (extrait disponible) XO Editions 


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  • Femmes de l'Autremonde 2- Capture - Kelley Armstrong

    Caractéristiques :

    Genre : Fantastique

    Grand format : 601 pages / 8,20 €

     

    Résumé :

    Elena Michaels est la seule femme loup-garou de la planète. Et elle pense que son espèce est la seule surnaturelle… Jusqu’à ce qu’une sorcière : Paige, la convie à un sommet. Elena, ainsi que son alpha Jeremy et son compagnon Clayton, découvrent l’existence des sorcières, des mages, des vampires et des semi-démons. Et la raison de ce rassemblement, est que quelqu’un tente de capturer tous ces êtres extraordinaires. Un groupe secret les capture et les enferme dans un bâtiment puissamment gardé. A l’intérieur, toutes formes d’expérimentations sont pratiquées sur ces créatures. Le secret de tous – leur seule protection envers le monde extérieur –  est donc mis en danger. Mais les choses se corsent encore lorsqu’Elena elle-même est capturée. Elle tentera par tous les moyens de s’enfuir, avec l’aide des autres captifs. De leurs côtés, Clay, Jeremy et Paige feront leur possible pour trouver la localisation précise du centre, et sauver Elena… De préférence avant qu’elle ne participe à une partie chasse où elle est la proie.

     

    Avis:

    Une nouvelle fois, Kelley Armstrong nous épate en créant une histoire passionnante. Forte de son écriture fluide et addictive, l’auteur reprend les personnages de la meute créés dans « Morsure » et les met en contact avec de nouvelles créatures surnaturelles (qui serviront de base aux tomes suivants de la saga). L’histoire devient encore plus riche et prenante : les personnages de Paige et de Savanna (la jeune sorcière) sont très sympathiques, au contraire de la très spéciale vampire… Quant à Adam, le semi-démon pyromane, il est simplement génial ! L’idée de l’enfermement dans le centre est très bonne, et un parallèle amusant est fait avec la 4ème saison de Buffy (où un bâtiment similaire était conçu par le gouvernement). L’atmosphère est alors conduite vers un « Prison Break » surnaturel où les créatures doivent s’entraider pour sortir, et ce malgré une sécurité alarmante. Mais ce qui fait clairement le succès de ce tome, c’est le caractère d’Elena, la narratrice. C’est une femme forte et poignante, dont l’ironie et le sarcasme sont les points forts. Le lecteur est donc happé dans l’histoire vue à travers ses yeux. Les scènes d’amour entre Clay et Elena plairont certainement à certains, mais ne sont pas suffisamment importantes pour parler de bit-lit (ce qui m’arrange ^^). On regrette que le personnage de la seconde femme loup-garou ne survive pas, ce qui aurait très certainement ajouté du piquant à la suite des aventures de Femmes de l’Autremonde. Pour conclure : cette merveille est à lire sans plus tarder !


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  • ! CONCOURS !

     

    Du 29 Janvier au 11 Février à minuit, La bibliothèque de Jake, en partenariat avec XO Editions vous propose de remporter le roman policier

     

    Théodore Boone 3- Coupable - John Grisham

    « Théodore Boone : Accusé ? » de John Grisham

    dont nous avons venté les mérites ici

     

    Pour cela, rien de plus simple :

     

     

    Bonne chance à tous !


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  • Autopsies - Kathy Reichs

    Caractéristiques :

    Genre : Policier

    Format poche : 381 pages / 7,60 €

     

    Résumé :

    Fouiller ses souvenirs. Tempérance Brennan n'a plus que ça à faire pour ne pas sombrer dans la folie. Que faire d'autre lorsqu'on se réveille pieds et poings liés dans l'obscurité, enfermée dans un espace exigu et glacial ? Impossible pour l'anthropologue judiciaire de se souvenir des circonstances de son enlèvement. Mais, petit à petit, elle reconstitue le puzzle des derniers jours: le cauchemar a commencé avec la découverte du cadavre d'une certaine Rose Jurmain... Du fond de son caveau, Tempérance pressent que sa survie dépend sûrement de sa capacité à résoudre cette enquête.

     

    Avis par Aurélie :

    A propos de Kathy Reichs, Autopsies, une aventure de Tempérance Brennan. Une véritable encyclopédie de la médecine légale. A lire si on aime les policiers, toutefois, l'action et le suspense ne sont pas les piliers du bouquin. Avis aux amateurs de Bones !! Si, comme moi, vous êtes des fans de Tempérance, sachez que le personnage du livre ne ressemble en rien au personnage de la série américaine Bones. De même, Zac, Angela et Jack n'existent pas dans le livre. Pour finir, je dirais, bon livre mais pas transcendant.


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  • En AparTHE by Audrey

    sert le thé rose

    Bonjour à tous !

     

    J’inaugure ici une nouvelle chronique qui aura pour but de vous faire partager ma passion du thé. Je vous y présenterai mes avis, sur les différents produits, mes dernières découvertes, mes coups de gueules et coups de cœur ! J’espère avant tout que ce sera un espace de partage où nous pourrons chacun échanger sur ce sujet.

    Si j’ai aujourd’hui le plaisir d’ouvrir cette discussion, c’est parce qu’à mon sens, le thé et la lecture sont de très bons amis ! Quoi de mieux qu’un délicieux moment passé sur le canapé, une tasse fumante à la main, et un livre dans l’autre ? Vous ne direz pas le contraire, n’est-ce pas ?

    Certains d’entre vous me reconnaîtrons, car ils côtoient peut-être mon blog : http://en-aparthe.kazeo.com/. C’est donc avec grand plaisir que je ferai, de temps à autres, un petit « AparThé » dans la bibliothèque de Jake !!!

     

    A très bientôt dans cette toute nouvelle rubrique !


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  • red moon - tome ii prophéties couverture

    Résumé :

    Alors que Dan parvient à achever sa transformation, il est victime d’une balle en argent qui vient le frapper en plein cœur. C’est le moment que choisit son père sensé être mort pour venir le sauver ! Mais avec l’assassinat de sa mère et de l’ensemble des Lycants de Crystal Village, Dan se retrouve désigné comme étant le bâtard de la prophétie : celui qui ramènera le Prince. Désemparé et luttant contre une parcelle noire de son âme, le jeune homme doit rejeter Claire et Anna pour les protéger. Et pour comprendre les événements qui risquent de se produire, il lui faudra se plonger dans le passé et dans les secrets de sa naissance…

     

    Où se le procurer ?

    Edilivre

    Amazon

    Chapitre

    Ou en me contactant directement à : jake.berenson@free.fr

     

    Extrait :

    01

     

    Jeudi 2 Août 2007

     

    Le shérif Carter se battait contre la serrure du bar.

    Ouvre-toi, saleté !

    Pratiquement incapable de se tenir debout, il avait dû quitter son appartement lorsque les dernières bouteilles d’alcool avaient été épuisées. C’était d’ailleurs la seule raison pour laquelle il daignait remettre les pieds dans cet endroit…

    Le shérif n’était plus que l’ombre de lui-même. Une barbe de plusieurs semaines oblitérait complètement son visage, et on aurait dit qu’une bombe avait explosé dans ses cheveux bruns hirsutes.

    - Merde, marmonna Tom.

    Il n’avait pas pris la bonne clé. Il rangea son trousseau et se tint immobile devant la porte close du bar « Laura’s ». Pendant quelques secondes, le brouillard qui lui avait été octroyé grâce à la douce boisson fermentée se leva.

    Il prit une profonde inspiration et refreina un sanglot. Il ne voulait pas de cette lucidité, elle était devenue son démon. La bête qu’il gardait tapie au fond de lui.

    Il considéra un quart de seconde les conséquences, avant de sortir son arme de service de son holster, et d’en asséner un grand coup sur la serrure vétuste du bar qui céda aussi vite. La porte en bois s’entrebâilla dans un grincement désagréable.

     

    Tom entra et chercha à tâtons l’interrupteur. Lorsque les lampes prirent vie, il dut cacher ses yeux de la lumière trop intense pour son degré de fatigue.

    Il avança tant bien que mal à travers la pièce, renversant deux chaises et se cognant contre une table, avant de passer derrière le comptoir.

    C’était là que la première pierre de leur relation avait été posée. Ce jour là aussi, il était bourré… Pas autant cela dit. Il lui avait demandé ce qu’il faudrait pour qu’une femme comme Laura Flye s’intéresse à un homme comme lui…

    Ecartant immédiatement ce souvenir de son esprit, il attrapa une bouteille sous le comptoir, sans même se soucier de la nature de l’alcool, et porta le goulot à sa bouche.

     

    Cela faisait deux mois qu’elle n’était plus, et lui avait perdu goût à la vie. Son travail, qui l’avait pourtant passionné par le passé, n’avait plus d’intérêt.

    Une seule chose le poussait désormais à se lever le matin : la vengeance. Son rêve de pouvoir la ramener un jour avait doucement été remplacé par un désir ultime de revanche. Tout humain qu’il soit, il allait trouver la créature qui avait réduit ses rêves à néant, puis il la ferait disparaître de la surface de la planète.

    C’était la seule chose sur laquelle il pouvait rester concentré entre deux verres d’alcool.

    Il n’avait pour ainsi dire plus de relation avec qui que ce soit. Il avait complètement délaissé Dan, et cela ne faisait qu’aggraver son état dans ses moments de lucidité.

    La culpabilité. Il avait laissé mourir la femme qu’il aimait, celle avec qui il avait voulu faire sa vie. Porté par la mélancolie de l’ivresse, il sortit un écrin de sa poche.

    Il ouvrit la petite boîte de velours pour révéler la bague de fiançailles qu’il avait achetée pour Laura. Sa vision devint floue, et l’écrin lui échappa.

    Il tomba au sol et plongea à plat ventre pour chercher la bague. C’était la dernière chose qui la retenait près de lui. Il s’en saisit comme si c’était l’objet le plus important au monde, et s’assit à même le sol, contre le comptoir.

     

    Après avoir avalé une nouvelle rasade, le shérif Carter reporta son attention sur le bijou. Mais il sentit son portable vibrer dans sa poche. Il en vida maladroitement le contenu sur le sol. La boussole argentée dégringola en premier, roulant à quelques centimètres de son genou. Il lui jeta un coup d’œil mauvais… Pour ce à quoi elle avait servi jusque là…

    Il adressa son attention sur son téléphone. « Maire Walker » s’inscrivait sur l’écran.

    Qu’ils aillent tous au diable…

    Il laissa sonner dans le vide, et attrapa une nouvelle bouteille.

     

    ***

     

    Le maire Walker réprima une injure lorsqu’il tomba pour la énième fois sur la messagerie du shérif.

    Un adjoint passa la tête à travers la porte et l’interpella.

    - Yannick, on ne peut pas retarder d’avantage la réunion.

    Le maire hocha silencieusement la tête. Son collègue réintégra la salle de conseil.

     

    Walker se massa les tempes. Il avait l’impression que la proportion de cheveux blancs sur son crâne avait quadruplé depuis les événements de juin. Les choses dérapaient.

    Tom le préoccupait. Cet homme que le maire avait toujours eu en estime semblait prisonnier d’une spirale sans fin. Le shérif n’avait pas répondu aux messages du maire et n’avait pas daigné assister aux dernières réunions.

    Il avait des comptes à rendre, et malheureux ou non, ses actions auraient des conséquences.

    Yannick avait de bons rudiments de politique : il savait qu’il ne pourrait pas gagner les deux arguments ce soir. Il ne pourrait en protéger qu’un sur les deux. Le conseil, déjà tendu, n’accepterait jamais un nouveau report d’audience. Et les décisions qui allaient être prises seraient lourdes de retombées…

     

    Le maire entra finalement dans la salle du conseil. Les chuchotements des délégués s’interrompirent immédiatement. Yannick s’installa. Au bout de la longue table en bois, Monique Bales qui occupait habituellement la première place à ses côtés, le fusilla du regard.

    - Excusez-moi pour ce léger retard, fit Walker d’une voix basse.

    La sorcière à la bouche pincée en face de lui plissa les yeux. Elle remit une mèche de ses cheveux auburn derrière son oreille – un de ses tics. Elle se racla la gorge, se leva et avança :

    - Je crois qu’il est plus que temps d’aborder le sujet qui nous inquiète tous…

    Tous les regards s’étaient tournés vers Monique. Elle prit une pause dramatique et enchaîna :

    - Dan Flye. Il est le dernier loup-garou de Crystal Village… Nous savons tous ce que cela veut dire.

     

    La mâchoire du maire se contracta. Depuis le carnage de la meute, l’adolescent lycant était devenu l’objet de la croisade de Monique Bales.

    - Il est forcément le bâtard de la prophétie, et si nous ne faisons rien, poursuivit-elle, il causera notre destruction à tous. Et bien que ce ne soit pas de l’avis de tous, la protection de notre village reste ma priorité.

    Fort d’un flegme à toute épreuve, le maire ne réagit pas à cette pique évidente.

    - Il nous faut nous débarrasser de lui, au risque de voir se réaliser la prophétie ! insista-t-elle.

    Yannick Walker balaya du regard les visages de ses collaborateurs. Certains acquiesçaient distinctement. Mais dans les expressions de la majorité, c’était le doute qui ressortait.

    N’obtenant pas l’engouement qu’elle attendait, la sorcière s’assit.

     

    Durant quelques instants pendant lesquels le maire choisit ses mots, un étrange calme régna dans la salle du conseil. Lorsqu’il ouvrit enfin la bouche, il parla d’une voix calme. Son ton doux contrastait avec la fougue dont son interlocutrice avait fait preuve.

    - Ce que tu sembles omettre Monique, énonça-t-il, est que ce lycant, que tu accuserais presque d’amener l’apocalypse… est un adolescent.

    Mme Bales eut envie de l’interrompre, mais elle se reprit bien vite, réalisant les risques.

    Yannick tenta de rencontrer le regard de chacun des élus.

    - Nous sommes en train de parler du bien fondé d’un meurtre. Pour un enfant qui vient de perdre la famille qui lui restait, ainsi que ses amis. Et non comptant d’assumer cette injustice, il faudrait se cacher derrière une prophétie dont on ignore toujours la véracité ?

    - Remettrais-tu en doute la parole de ta propre mère ? contra Monique dont le ton montait.

    Le maire rétorqua avec calme :

    - Tu devrais savoir mieux que quiconque que même les parents font des erreurs…

    La sorcière se plongea dans son fauteuil, ses yeux n’étaient plus que deux revolvers qui fusillaient Yannick.

    - Ce sujet n’a plus à revenir sur la table pour le moment, conclut le maire.

    La majorité du conseil acquiesça.

    Walker avait gagné cette manche là.

     

    Une main se leva. Yannick posa le regard sur l’élu.

    - Qu’en est-il du shérif ? Voilà deux mois qu’il est sur la touche. Il est très gentil, admit le délégué avec honnêteté, mais il ne semble plus capable d’assurer son rôle.

    - Tom nous a prouvé par le passé qu’il était plus que compétant dans ce domaine et…

    - « Par le passé », répéta une sorcière du conseil. Excuse-moi Yannick, moi aussi je l’aime beaucoup. On a rarement eu un non Initié qui collaborait aussi bien avec nous. Mais depuis…

    Elle hésita avant de poursuivre :

    - Depuis les événements de juin, il ne remplit plus son rôle. Et je l’ai croisé il y a quelques jours… Je ne me sens pas vraiment à l’aise avec la notion de quelqu’un comme lui qui continue à porter une arme à feu…

    Les déboires du shérif avec l’alcool avaient donc fait le tour de la ville…

    Le conseil se tourna vers Yannick. A l’autre extrémité de la table, un petit sourire se dessina sur le visage de Monique.

    Finalement, le maire hocha la tête et posa la question qu’il redoutait depuis le début de la réunion :

    - Ceux qui sont pour libérer Tom Carter de ses obligations ?

    Et il vit les mains se lever autour de lui.

     

    ***

     

    La réunion venait de prendre fin. Les élus rentraient chez eux, heureux de pouvoir enfin se libérer de leurs obligations, à une heure tardive. Ils se levaient de table, repliaient leurs dossiers ouverts et quittaient la mairie avant que qui que ce soit puisse les retarder d’avantage.

    Seuls Mme Bales et le maire Walker demeurèrent assis dans la salle du conseil. Lorsque la porte se referma pour ne laisser plus qu’eux, Monique bondit tel un animal. En un fraction de seconde, elle se tenait penchée devant le maire portant un doigt accusateur à son visage.

    - Tu vas me rendre ma fille, Yannick ! Je veux la récupérer, est-ce que tu as bien compris ? hurla-t-elle pratiquement. Tu n’as absolument aucun droit de la maintenir loin de moi, si…

    Le maire leva sa main et la sorcière fusa contre le mur opposé. La chevalière de Yannick voyait son saphir pulser sous l’énergie dégagée par l’élu.

     

    Il se leva finalement et se rapprocha de la femme. Elle semblait incapable de faire le moindre mouvement, suspendue à une dizaine de centimètres du sol. Sa bouche même était paralysée et lui interdisait la parole.

    - N’oublie pas à qui tu t’adresses Monique. Avec ce que tu as fait, tu as de la chance d’être toujours en vie ! N’oublie pas qu’il n’y a qu’une seule raison pour laquelle c’est le cas. N’oublie pas que si tu me pousses à bout, je révèlerais ton implication dans le départ d’Anna et tu seras condamnée.

    Yannick relâcha son emprise. Les pieds de la sorcière retrouvèrent la terre ferme.

    - Anna n’est pas chez moi contre son gré, elle peut décider de partir à tout moment. Mais je crois qu’elle préfèrerait être partout plutôt qu’avec toi.

    - C’est ma fille, articula-t-elle avec une boule dans la gorge.

    - Peut-être, admit le maire. Mais ce que tu as fait t’a retiré de nombreux privilèges. Ta fille…

    Il se retourna et marcha vers la sortie.

    - Et ta place au conseil municipal. J’attends ta lettre de démission pour demain.

    Lorsqu’elle se retrouva seule, les jambes de Monique Bales se dérobèrent sous son poids et elle se retrouva à sangloter, assise sur ses fesses.

     

    ***

     

    La fenêtre de la nouvelle chambre d’Anna était ouverte. La jeune sorcière était assise dans son lit, fixant l’extérieur. Des posters de paysages du monde traînaient dans un coin de la petite pièce, mais l’adolescente n’avait pas trouvé la motivation de les afficher. La déception qu’avaient été ses vacances en Italie pendant l’été lui avait fait relativiser ses rêves de voyages autour du monde.

    Mais plus que ça, son rêve s’était déjà transformé au contact de Dan. Il avait évolué avec leur relation, et elle ne voyait plus l’intérêt de partir seule découvrir les merveilles que la planète avait à offrir.

    Si elle partait, elle voulait que ce soit avec lui.

    Tant de choses s’étaient produites ces derniers mois. Elle ne reconnaissait plus sa vie.

    Sa mère avait été son modèle jusqu’à ce qu’elle rencontre Dan. Mais ce qu’elle avait fait été impardonnable, alors que ses sentiments pour le lycant étaient clairs. Elle n’avait jamais ressenti cela de son existence, elle n’avait jamais même pensé être capable de ressentir quelque chose d’aussi fort…

    Mais pouvait-elle le blâmer de mettre de la distance entre eux après ce qu’il s’était produit ?

    Et elle ne lui avait même pas dit que tout était la faute de sa mère. Si le loup-garou savait que Laura était morte à cause de Monique Bales… Il ne lui pardonnerait jamais.

     

    Elle se leva de son lit et s’immobilisa devant la fenêtre ouverte. Pendant quelques instants, elle scruta les ténèbres autour d’elle.

    Est-ce que tu penses à moi, où que tu sois ?se demanda-t-elle.

    Son regard vaqua sur les toits des maisons alentours.

    - Bonne nuit, marmonna-t-elle pour personne d’autre qu’elle-même, avant de baisser la battant de la fenêtre.

    Elle éteignit sa lampe de chevet et s’installa dans son lit.

     

    ***

     

    Dan vit l’ampoule s’éteindre dans la chambre de la jeune sorcière. Il avait conscience du mal qu’il s’infligeait, mais il ne pouvait s’empêcher de venir la voir.

    Seuls les yeux dorés du loup-garou brillaient dans la nuit. Il était si tard que les lampadaires du quartier s’étaient endormis à leur tour. Il était perché sur le toit d’une maison à quelques dizaines de mètres de celle du maire Walker.

    Il avait interrompu sa métamorphose. C’était dans cet état qu’il se sentait le mieux. Toutes ses perceptions étaient accrues, même si elles n’étaient pas à leur maximum, et il conservait une apparence humaine.

    Il aurait même pu choisir de réveiller l’autre partie de lui-même, celle qu’il avait tant de mal à conserver enfouie… Ses yeux n’auraient même pas eu cette teinte dorée.

    Mais Anna adorait leur couleur or. Elle lui avait dit à l’époque où ils se retrouvaient sur le toit du lycée.

    A l’époque où tout était plus simple… Où le plus difficile était d’éviter Mme Bales qui désapprouvait leur relation.

     

    Le garçon resta encore un moment à fixer la jeune femme qui plongeait dans le sommeil. Il y voyait aussi bien qu’en plein jour et il pouvait voir le thorax d’Anna se lever au rythme de sa respiration.

    Il se concentra sur son ouïe et parvint même à entendre les battements de cœur de la sorcière. Et bientôt, il calqua les siens sur ceux de l’adolescente.

    Il aurait pu rester toute la nuit… Cela faisait un moment qu’il avait perdu le besoin de dormir. Mais quelqu’un d’autre l’attendait.

     

    Il traversa la ville à une vitesse défiant celle de n’importe quel non Initié. Il se trouva bientôt à la lisière de la forêt, dans une grande propriété. Il ouvrit la porte d’entrée et entra sans attendre qu’on l’invite.

    Il retrouva la jeune femme. Elle était assise dans un canapé dont les housses déchiquetées laissaient pendre des lanières de mousse. Le papier peint était déchirés à de nombreux endroits et flottait depuis les pans de murs. Le lustre éclairait la pièce, c’était la seule source de lumière qui fonctionnait encore, au contraire des lampes écrasées sur le sol.

    La blonde venait de fêter sa majorité, mais avec ses traits adultes, on lui aurait donné au moins cinq années de plus. Ses cheveux blonds ondulaient jusqu’à la moitié supérieure de son dos et son bronzage était impeccable.

     

    Nina fixait des photos accrochées au mur. Elle se leva lorsqu’elle réalisa que Dan venait d’entrer.

    Les yeux foncés de la blonde étaient toujours rougis. Il essaya de sourire, pour lui remonter le moral, mais sa tentative échoua.

    Il traversa la pièce, sans faire attention au gravats qui jonchaient le sol. Il la prit dans ses bras alors qu’elle nichait sa tête au creux de l’épaule du loup-garou.

    - Il me manque, murmura-t-elle.

    - Je sais, répondit doucement Dan.

    Le regard du garçon s’accrocha au portait de Ludovic que la lycante fixait à son arrivée. Dan parcourut la pièce de ses yeux, la résidence des Ebesst ne ressemblait plus qu’à un vaste dépotoir.

    Il reporta son attention sur la photo de son ami et coéquipier.

    Comment on a pu en arriver là…ne put s’empêcher de penser le jeune homme.

    Et ses pensées s’attardèrent sur « les événements de juin ». Tout avait changé quand Dan avait vu le massacre de la meute.

    Quand il avait réalisé la mort de sa mère.

    Quand il avait appris qu’Eric Flye n’était pas mort.

    Et quand il avait découvert que son propre père était en fait un vampire…

     

    02

     

    Vendredi 1er Juin 2007

     

    Dan sentait un liquide se répandre sur son torse. Son sang. La transformation s’était inversée, il avait recouvré son apparence humaine. Le dernier vampire avait eu raison de lui avec une balle en argent. Il ne pouvait plus rien, complètement à la merci de son ennemi, allongé sur le dos.
    Les bruits étaient étouffés. Son regard se perdait dans la voûte étoilée. Il ne sentait plus que son cœur battre au fond de sa poitrine. Sa respiration se fit plus saccadée. La douleur commençait à disparaître. Il pensa à sa mère et à Anna. Une larme roula sur sa joue.

     

    Quelqu’un se pencha au-dessus de lui. Comme une vision du futur. L’homme était plus grand que lui et paraissait d’une dizaine d’années son aîné. Ses cheveux bruns et sa peau mate lui donnaient un air méditerranéen. Lorsque le garçon plongea son regard dans les yeux noirs de l’individu, il crut à une hallucination.

    - Papa ? murmura-t-il.

    Un dernier soubresaut parcourut l’adolescent et il perdit connaissance.

    - Tiens le coup, Dan ! cria Eric.

    En l’espace d’une seconde, le visage de l’homme se métamorphosa. Ses canines poussèrent alors que des veines se dessinaient au contour de ses lèvres et de ses yeux, qui n’étaient plus que deux billes noires.

     

    Sans l’ombre d’un doute, il releva légèrement le corps de son fils. Puis il porta son propre poignet à sa bouche et s’entailla avec ses canines acérées. Le sang coula de son poignet, et il le porta aux lèvres du garçon.

    - Bois Dan ! s’enquit-il.

    Il laissa son sang se déverser dans la gorge du lycant.

     

    ***

     

    Lorsque le shérif Carter avait reçu le coup de fil, il avait immédiatement craint le pire. Sans même alerter qui que ce soit, il quitta le bal de fin d’année qui se tenait au lycée. Son rôle de chaperon passait après son métier.

    Il bondit dans sa voiture et conduisit à toute vitesse jusqu’au bord de la forêt. Il ne connaissait pas exactement la localisation de la crypte. Il n’en avait pas le droit : seule la meute et le gardien du secret étaient dans la confidence…

    Mais l’adolescent qui avait appelé pour prévenir du drame devait l’attendre sur le bas côté.

     

    Tom bondit du siège, sans prendre la peine de fermer la portière, lorsqu’il reconnut l’ami de Dan.

    - Je te suis, dit simplement le shérif.

    Le garçon brun hocha la tête et s’aventura en courant dans la forêt.

    Finalement, il désigna un énorme tronc d’arbre dans le bois.

    - C’est une illusion, annonça-t-il. Ca descend par là.

    Carter ne chercha même pas à se demander comment l’étudiant avait appris la vérité sur la meute et ses secrets. Cela ne le préoccupait pas pour l’instant.

    Il tendit un doigt dans la direction de sa voiture.

    - Des renforts vont arriver, prévint-il. J’aurais besoin de toi pour les guider.

    Liam acquiesça et repartit en direction de la route.

     

    Lorsqu’il fut certain d’être hors de vue du shérif, l’adolescent put relâcher la fausse tension qui se lisait sur son visage. Ses traits se transformèrent en un sourire de satisfaction.

    Les choses se déroulaient exactement comme il l’entendait. Dan était désormais le seul loup-garou à Crystal Village. Dans quelques mois à peine, le Prince serait là. Son retour était imminent.

    C’était presque trop facile. Personne n’avait pu découvrir que Liam Mueller était en fait un vampire, pour la simple raison que l’on ne suspectait pas quelqu’un qui pouvait se balader en plein soleil…

     

    ***

     

    - Oh mon Dieu, murmura Yannick Walker lorsqu’il pénétra dans la crypte. On devinait facilement le massacre qui s’était joué dans cet endroit, à la quantité de sang qui avait éclaboussé les murs et les sols.

    Monique Bales était sur ses talons, tentant au mieux de feindre la surprise. Mais même elle fut choquée du degré de violence qui avait dû régner à cet endroit. Bien sûr, en donnant la localisation du repère des lycants, elle savait qu’elle les condamnait. Mais elle ne put empêcher une pointe de culpabilité ressentie en elle… Même si elle n’avait que du mépris pour cette espèce.

    Elle sortit sa clé et vérifia le pouls des cadavres humains au sol. D’un signe de tête en direction du maire, elle confirma leur état.

     

    - On va avoir besoin de plus d’ambulance… Pour les corps, nota-t-elle.

    Yannick acquiesça. La femme désigna une cage du menton. Elle était la seule ouverte à leur arrivée, mais ce n’était que maintenant que les deux sorciers remarquaient la présence de quelqu’un de bien vivant. A l’uniforme, ils reconnurent le shérif Carter.

    - Remonte, marmonna Walker. On ne pourra pas cacher ce qu’il s’est passé ce soir, il y en a trop… Mais il faut limiter les dégâts, et il n’y a plus rien à faire, ici.

    Il entendit bientôt les talons de la femme claquer vers la sortie.

     

    Le maire se rapprocha doucement du shérif.

    - Tom, appela-t-il.

    Carter l’ignorait toujours. Il était assis dans une mare de sang et avait enlacé avec la plus grande délicatesse le haut du corps de Laura Flye, qui reposait à moitié sur lui.

    - Tom, répéta l’élu.

    Les yeux du concerné se levèrent bientôt vers le sorcier. Le shérif ne pouvait empêcher les larmes de couler de ses yeux.

    - Il ne faut pas rester ici, assura Walker de sa voix la plus compatissante possible.

    - Ramenez-là, répondit Carter.

    Le maire s’accroupit et posa une main sur l’épaule de l’agent de l’ordre.

    - Ce n’est pas possible, Tom…

    Carter réprima un sanglot.

    - Allez chercher votre cristal, et ramenez-là ! Vous l’avez fait avec moi ! s’énerva le shérif.

    - C’est trop tard. Je suis désolé, je n’en suis pas capable, je ne peux pas, insista Yannick.

    Tom regarda le visage paisible de la femme blonde qui reposait sur ses genoux. Il écarta avec la plus grande tendresse une mèche de cheveux et leva un regard déterminé vers le maire.

    - Alors je trouverai quelqu’un qui le peut.

     

    ***

     

    Dan était perdu dans un brouillard sans fin. Alors que la douleur avait semblé disparaître, elle était revenue plus intense que jamais. On aurait dit qu’un poison circulait dans son corps et le brûlait de l’intérieur.

    Quelqu’un l’avait porté, mais ouvrir les yeux était au-dessus de ses moyens. Le simple fait de respirer lui demandait une énergie incommensurable.

    Finalement, il avait été allongé sur une surface plane, plus agréable que la terre où il avait failli perdre la vie.

    Une voix retentit et parvint à percer l’esprit chaotique du garçon :

    - Tu dois être fort maintenant.

    Il chercha à se raccrocher à ce timbre, si similaire au sien. Mais bientôt la douleur se fit plus lancinante et il se sentir partir.

    Dans son délire, des scènes étranges prirent vie. Comme des souvenirs qui auraient appartenu à quelqu’un d’autre. Etaient-ce de simples rêves ? Ou quelque chose de plus compliqué ? Il n’était pas en mesure d’y réfléchir, il pouvait seulement assister en témoin improbable…

     

    ***

     

    Laura marchait dans les rues de New York. Une grande carte ouverte devant ses yeux et traversant les routes sans regarder, son excitation était telle qu’elle ne percevait même pas les klaxons alentours.

    L’euphorie l’avait prise dès la sortie de Crystal Village. La simple idée de quitter son village pendant deux semaines l’avait réjouie au plus haut point.

    C’était pour la féliciter de ses excellents résultats que ses parents lui avaient octroyé deux semaines, tous frais payés, dans « Big Apple ».

    Elle avait juste le temps avant de devoir revenir pour la pleine lune. Et puis elle rentrerait à l’université la plus proche. Cette maudite malédiction de la pleine lune était un vrai handicap à toute sorte de vie sociale…

    Mais pas maintenant… se dit-elle.

    C’était son échappatoire. Elle avait dû renoncer aux études de ses rêves. Elle avait dû rompre avec son « high school sweetheart » parce qu’il n’était pas « digne de confiance » selon le reste de la meute.

    Mais à New York, elle pouvait s’inventer une vie. A New York, elle n’était pas une lycante… Elle était une femme.

     

    Elle se récitait ces magnifiques pensées lorsqu’elle rentra dans quelqu’un et s’écroula au sol. Les fesses contre le bitume, elle replia sa carte. C’est à cet instant qu’elle réalisa que ce qu’elle avait percuté était en fait un homme d’une trentaine d’années ou presque, passablement mignon !

    - Excusez-moi, lança-t-elle en rougissant. Je ne regardais pas où j’allais. Je ne suis pas d’ici et je crois que je ne faisais pas très attention…

    Le brun à la peau mate se releva et épousseta son costume bleu anthracite.

    Quel charme ! pensa de nouveau Laura.

    - J’avais remarqué, trancha-t-il, glacial.

    Et le charme retombe… commenta-t-elle pour elle-même.

    Finalement, il lui tendit la main pour l’aider à se remettre sur pied.

    - Dîtes-moi, elles sont toutes comme vous, les paysannes de votre trou ? lança-t-il avec un petit sourire en coin.

    Elle plissa les yeux avant de rétorquer avec un air suffisant :

    - Je sais pas. Ils sont tous comme vous les crétins de citadins ? Et d’abord, qu’est-ce qui vous fait dire que je viens d’un trou ?

    Cette fois-ci, le sourire de l’inconnu s’élargit franchement.

     

    Il se rapprocha d’elle et croisa les bras.

    - C’est flagrant ! Rien que l’accent.

    Elle s’avança à son tour, plaqua ses poings contre ses hanches et releva le menton.

    - Y-a un problème avec mon accent ? questionna-t-elle vexée.
    - Absolument aucun, répondit-il du tac-au-tac. Vous n’auriez pas envie de me rentrer dedans, demain ? Disons même heure, même endroit ? Je connais un café très sympa où je pourrais me moquer d’avantage de vos origines paysannes.

    Elle plissa les yeux un peu plus, cherchant à trouver le piège.

    - Et pourquoi je ferais ça, Môssieur le costume trois pièces ?

    - Je pourrais vous apprendre à lire une carte… Et peut-être à marcher sans renverser quelqu’un, mais je ne veux pas trop m’avancer…

    Elle croisa les bras, mais un petit sourire la gagnait et elle avait de plus en plus de mal à conserver son sérieux.

    - Vous avez réponse à tout, vous…

    Il hocha la tête.

    - Nous les citadins, on est comme ça !

    Ils se jaugèrent pendant un instant sans parler. Finalement l’air amusée de la blonde prit le dessus.

    - Demain, même heure ?

    - Ici même, confirma-t-il.

    Elle acquiesça, tentant de cacher son sourire grandissant. Puis elle se tourna et commença à marcher dans l’autre sens.

    - Hé ! Attendez ! cria le brun. Vous ne m’avez même pas dit votre nom !

    - Vous non plus ! lança-t-elle par-dessus la foule.

    Il mit ses mains en porte-voix :

    - Eric Flye !

    - Moi je suis…

     

    ***

     

    - Maman ! hurla Dan en se relevant du canapé.

    En quelques secondes, son père était sur lui. Il força son fils à s’allonger et posa une main sur le front du garçon. Il brûlait. Le délire avait commencé.

    - Ca va aller, essaie de te reposer…
    Mais avant même que le vampire ait fini sa phrase, l’adolescent avait replongé dans un sommeil mouvementé.

    Eric se rassit sur la chaise qu’il avait placée à quelques centimètres du visage du lycant.

     

    La sonnette retentit presque dix secondes après qu’Eric a senti une présence humaine. Méfiant, il attendit derrière la porte d’entrée. La sonnette se fit entendre de nouveau.

    Les battements de cœur du visiteur retentissaient aux oreilles sensibles du grand brun.

    - Dan ! cria une voix féminine. C’est moi ! Ouvre, je t’en prie !

    On tambourina à la porte. Finalement, Eric ouvrit à la volée.

    - Oh, Dan, je…

    Claire s’interrompit. Elle pencha la tête de côté, ne pouvant se résoudre à accepter la ressemblance entre l’homme qui se tenait devant lui et son Sherlock…

     

    - Qui êtes-vous ? questionna-t-elle.

    Le vampire leva un sourcil.

    - Vous venez sonnez, et c’est moi qui dois me présenter ? demanda-t-il d’une voix posée.

    L’étudiante plongea une main dans sa poche, peu rassurée. Le contact de son téléphone portable la ragaillardit.

    - Claire. La meilleure amie, ajouta-t-elle. Et vous ?

    - Je suis un cousin de Dan.

    La fille aux cheveux méchés recula d’un pas. De ses doigts, elle composa le « 911 », elle n’avait plus qu’à presser le bouton vert et les secours seraient avertis.

    - Dan n’a pas de cousin, murmura-t-elle.

    L’homme réfléchit quelques instants.

    - Je suis un ami de la famille, se reprit-il. Si vous cherchez Dan, ce n’est pas le bon moment. Il vient de vivre quelque chose de particulièrement difficile et…
    La jeune femme posa une main sur sa bouche et ravala un sanglot.

    - Non mon Dieu, hoqueta-t-elle. Alors c’est vrai ? Liam m’a appelée, mais je ne voulais pas y croire…

    Elle ne put empêcher des larmes de couler.

     

    - Dan ! cria-t-elle.

    Elle avança et bouscula Eric pour rentrer.

    Il lui attrapa les bras et lui bloqua l’entrée.

    - Non, mademoiselle, vous ne pouvez pas…
    - Non vous ne comprenez pas, si Laura est…

    Elle éclata en sanglots.

    - Il a besoin de moi, gémit-elle.

    - Je m’occupe de lui, assura-t-il.

     

    En une fraction de seconde, l’attitude de l’adolescente changea. Elle recula et se redressa.

    Mais elle est schizophrène ou quoi ?pensa le vampire.

    Claire brandit le téléphone avant d’avancer :

    - Vous allez me laisser entrer ! Je veux voir Dan, j’exige de le voir !

    Elle hurlait pratiquement.

    - Je ne vous connais pas ! Et pourtant je connais tous les gens qui comptent pour lui ! Ou vous me laissez entrer, ou vous vous expliquez avec le shérif !

    Bien sûr, Eric aurait pu se saisir du téléphone avant même que la jeune femme s’aperçoive de son geste. Mais il ne désirait pas attirer l’attention. Il devait absolument garder son retour à Crystal Village secret.

    Et contre toute attente, cette adolescente semblait capable de braver tous les dangers, simplement pour voir son fils.

     

    Il souffla. Qui eut cru que les humains le porteraient sur les nerfs aussi vite… En cinq minutes, cette fille avait usé la patience qu’il s’était construit en près de vingt ans.

    Il leva finalement un doigt.

    - Tu entres pendant une minute, le temps de vérifier que je ne suis pas un tueur psychopathe et que Dan va bien…

    Elle acquiesça. Le deal lui convenait.

    - Je te préviens, il dort et il a une mauvaise fièvre…

    Elle jeta au vampire un regard suspicieux.

    - Comment ça se fait que vous ressembliez autant à son père ? questionna-t-elle en passant le seuil de la porte.

    - Qu’est-ce que tu sais sur Eric ? demanda l’intéressé, surpris.

    Elle soupira bruyamment.

    - C’est une manie chez vous de répondre à une question par une question ?

     

    Il cacha un petit sourire. Finalement, il comprenait pourquoi Dan appréciait cette fille… Elle haussa les épaules.

    - Je sais qu’il est mort et j’ai vu quelques photos de lui, expliqua-t-elle finalement.

    Claire aperçut finalement son ami allongé sur le canapé et accourut. Elle tomba sur ses genoux et passa le revers de sa main sur le front du garçon.

    - Il est brûlant ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’enquit-elle.

    - Le contrecoup… répondit Eric sans trop s’avancer.
    - Le pauvre, murmura-t-elle en caressant les cheveux du lycant.

     

    Elle tourna la tête vers Flye senior pour lui poser une énième question, quand Dan ouvrit des yeux entièrement noirs.

    Conscient de la situation, son père réagit au quart de tour : il bondit entre l’adolescente et le garçon alors que ce dernier avait basculé l’avant de son corps vers la jugulaire de l’étudiante.

    Eric plaqua son fils contre le sofa. Dan feula comme un tigre, dévoilant ses canines pointues. Bientôt, les veines noires disparurent du visage du lycant et il retomba dans le sommeil.

    Lorsqu’il se retourna enfin, monsieur Flye dut faire face à une Claire désarçonnée.

    - Mais qu’est-ce que vous faîtes ? demanda-t-elle incrédule.

    - Il a comme des crises… expliqua le vampire. Ecoute, je pense qu’il serait mieux de le laisser se reposer, maintenant. Je promets de lui dire que tu es passée quand il ira mieux.

     

    Elle acquiesça mais hésita encore un instant.

    - Et qu’il doit m’appeler… compléta-t-elle enfin.

    Il secoua la tête pour exprimer son accord.

    Elle marcha jusqu’à la porte, ne pouvant s’empêcher de mordre dans sa lèvre inférieure. Adoptait-elle la bonne conduite ?

    Après tout, elle laissait son meilleur ami, son  « Sherlock » entre les mains d’un homme pour le moins étrange, alors qu’il venait de perdre son dernier parent et qu’il semblait atteint d’une maladie bizarre.

    Claire se retourna finalement, une fois arrivée sur le seuil de la porte.

    - Je ne sais pas si c’est une très bonne idée que je le laisse tout seul… argumenta-t-elle.

    Eric bloqua la main de sa porte.

    - Si, si… Vraiment. Il a besoin de calme…

    Ca veut dire quoi, ça ? Je suis pas calme, moi ?Ne put-elle s’empêcher de penser.

    Elle leva un doigt.

    - Je n’ai même pas saisi votre nom…

    Sa phrase resta en suspens quelques secondes. Eric afficha un sourire poli.

    - C’est très bien comme ça, assura-t-il.

    Et il claqua la porte au visage de la jeune femme.

    Ca va bien cinq minutes les ados…se dit-il.

     

    ***

     

    Depuis deux heures, Eric regardait impuissant son fils subir une mutation dont lui-même ignorait l’aboutissement. Normalement, les gènes des Initiés étaient dominants, aussi ils ne pouvaient coexister : pas de sorcière vampire, pas de loup-garou vampire… Et cela dans toutes les variations possibles.

    Pourtant avec le sang de son paternel, Dan avait retrouvé la vie. Et comme il l’avait si bien démontré en manquant arracher la tête de sa meilleure amie, il était en train de se transformer… En quelque chose d’autre.

    Il faisait de son mieux pour maîtriser son anxiété, mais le fait d’ignorer en quoi son fils allait se changer, ou même s’il allait survivre le rongeait de l’intérieur.

     

    Les lumières étaient éteintes dans la maison : Eric n’avait pas besoin de cela pour voir, et ce n’était pas la peine d’attirer d’avantage l’attention.

    Soudain, la porte s’ouvrit et quelqu’un entra.

    En quelques secondes, le vampire traversa la pièce pour cueillir le nouveau venu et le plaquer contre le mur. Il le souleva du sol pour faire bonne mesure, avant de demander :

    - Qu’est-ce que vous faîtes ici ?

    L’inconnu tenta de donnait des coups sur la main de fer qui l’immobilisait, et l’étranglait…

    - Je suis… chez moi ! parvint-il à articuler.

    Monsieur Flye le relâcha immédiatement et appuya sur l’interrupteur le plus proche.

     

    Un homme brun se massait le cou, son chapeau de shérif avait roulé jusqu’aux pieds du vampire.

    Génial, se dit le père de Dan, il ne manquait plus que ça…

    Lorsqu’il eut recouvré ses esprits, Tom saisit son arme de service et tira sans sommation sur son agresseur. La première balle prit Eric de court et se ficha dans son épaule, mais il évita les deux suivantes qui se perdirent dans le plafond.

    Finalement, le vampire utilisa sa vitesse surhumaine pour attraper le pistolet du shérif et s’en débarrasser.
    L’homme au sol lui offrit un regard haineux.

    - C’est vous qui l’avez tuée… souffla-t-il.

    Eric parut surpris. Puis il laissa son regard vagabonder sur les portraits affichés aux murs. Cet homme était en photo sur la plupart d’entre eux, avec Laura et Dan.

    - Non, répondit finalement le vampire. Je ne l’ai pas tuée. Je n’aurais jamais pu faire une telle chose.

     

    Mais Tom n’en démordait pas.

    - Vous pensez que je ne sais pas ce que vous êtes ? Qu’est-ce que vous avez fait de Dan ? Comment avez-vous pu rentrer ici ?

    Eric soupira, puis il tira une chaise de la cuisine et s’assit, faisant face à celui qui l’avait remplacé.

    - Dan est sur le canapé en train de se reposer, je pense que vous serez d’accord pour dire qu’il mérite un peu de répit… Quant à ma présence ici, j’ai pu rentrer sans être invité, car c’est également ma maison.

    Le shérif fronça les sourcils.

    - Quoi ?

    - Que vous a dit Laura exactement ?

    Tom fit rouler ses yeux pour cacher l’émotion qui le prenait à la pensée de la femme.
    - Je sais que vous êtes un vampire, si c’est ce que vous voulez dire. Et je sais ce qu’elle est…

    Il ne put finir sa phrase, et ne se permit pas de la reformuler au passé.

     

    Le vampire hocha la tête.

    - Mon nom est Eric Flye.

    La bouche de Tom s’ouvrit, bien malgré lui.

    - Les gens ne doivent pas savoir que je suis toujours en vie. Mais vous méritez la vérité. Si Laura vous a accordé sa confiance, alors cela vaut aussi pour moi.

    - Eric Flye est mort.

    Ca va être long, pensa le vampire dans un soupir.

    - C’est ce que nous avons dû faire croire aux gens pour protéger Dan.

    - Qui a fait ça ?

    Flye recula sur son siège.

    - Qui a fait quoi ?

    - Qui a fait ça à Laura ? A la meute ?

    Les propos de Tom étaient à peine cohérents, il passait d’un sujet à l’autre sans préambule, manifestement encore sous le choc.

    - Je ne sais pas, admit Eric.

    - Alors pourquoi êtes vous là ? Comme par hasard, vous ressurgissez le même soir que le massacre ? Je n’y crois pas une seconde !

    Le shérif venait de se relever, poussé par un élan de colère. Eric Flye se leva à son tour, il fit un pas en avant.

    - Je n’ai rien à vous prouver et je ne vous dois rien.

    - Vous lui devez à elle ! cracha Tom au visage de son interlocuteur.

    Il n’eut même pas le temps de réagir, le coup de poing le saisit dans la joue droite et l’envoya s’écraser une nouvelle fois sur le sol de la cuisine.

    - Maintenant sortez d’ici, intima Eric.

    - Je suis chez moi, contra avec hargne le shérif en frottant sa mâchoire.

    - Plus maintenant, annonça le vampire. Vous étiez peut-être le petit-ami de Laura. Mais Dan est mon fils, dit-il en désignant le garçon. Il n’y a plus rien qui vous retienne ici.

    Le regard de Tom passa de son adversaire au canapé où reposait l’adolescent. Peut-être ne partageaient-ils pas le même sang, mais Dan était comme un fils pour lui. Mais que pouvait-il contre le vampire ? S’il était réellement le père du garçon, Tom n’avait aucun droit de s’interposer.

    - Très bien, admit-il finalement. Si vous ne voulez pas trouver celui qui a fait ça, je m’en chargerai.

    Il se releva avant de continuer, levant un doigt menaçant devant le visage de l’Initié :

    - Mais si vous ne prenez pas soin de Dan, je reviendrais. Et ce jour là je ne serai pas armé d’un revolver, mais d’un pieu.

     

    Lorsque le shérif fut parti, Eric retira la balle logée dans son épaule. Puis il se saisit d’une photo où ils étaient tous les trois : Laura, Dan et Tom. Comment cet idiot osait-il lui parler ainsi ?

    Le vampire avait tout sacrifié pour le bien de sa famille. Il avait renoncé à passer sa vie auprès de sa femme, et accepté de ne jamais connaître son propre fils.

    Cet homme n’avait aucune leçon à lui faire.

    Quant à la recherche du coupable, Eric s’y attelait déjà.

    Le vampire sortit de sa poche ce qui ressemblait à une montre à gousset. Il allait ouvrir la boussole, mais Dan fit un mouvement dans son sommeil agité.

    Non, pas ce soir.

    Le responsable de ce carnage paierait.

    Tout comme Tom, Eric Flye avait perdu la femme de sa vie ce soir-là.

    Mais il lui restait son fils. Et c’était tout ce qui comptait désormais.

     

    ***

     

    Bien plus tard cette nuit-là, une troisième personne se présenta à la porte de la maison des Flye.

    Comme si la soirée n’avait pas été suffisamment riche en émotions. Mais contrairement à Claire qui s’était ouvertement invitée, puis à Tom qui avait littéralement fait comme chez lui – puisque tel était le cas – ce dernier eut la décence de frapper.

    Les sourcils du maire se levèrent de surprise lorsqu’il reconnut le vampire.

    - Bonsoir Eric.

    - Je pensais avoir plus de temps avant de te voir Yannick, répondit Flye.

    Il s’écarta et laissa entrer le sorcier.

     

    Walker marcha calmement vers le canapé, comme s’il avait deviné la présence de Dan et il passa le plat de sa main contre le front de l’étudiant.

    - Ainsi tu lui as fait boire ton sang…
    - Je n’avais pas le choix, répliqua Eric, acide. C’était ça ou la mort ! Et j’ai déjà perdu suffisamment.

    Le maire baissa la tête, contrit.

    - Je te présente mes condoléances.

    Le vampire serra la mâchoire.

     

    - Comment as-tu su que j’étais ici ? questionna finalement Eric.
    - Je l’ignorais, admit Yannick. J’étais venu voir Dan… Il n’était pas dans la crypte lorsque… Etrangement, ton fils a du retard quand à son patrimoine génétique lycant…

    - Plus maintenant, informa le vampire. Lorsque je l’ai retrouvé ce soir, il était transformé. Il se battait avec quatre vampires… Le dernier lui a tiré une balle en argent dans le thorax…

    - D’où ton action.

    - Mais pour qui te prends-tu ? s’emporta Flye. Oui « d’où mon action » ! Tu étais sensé protéger mon fils !

    - Tu ne devais jamais revenir à Crystal Village, contra le maire.

    - Tu était sensé protéger mon fils ! hurla de nouveau Eric. Et ma femme ! Et toute la meute ! C’est la seule raison pour laquelle j’ai accepté de quitter ce village ! Pour les préserver ! Et aujourd’hui Laura est morte ! Et Dan va devenir…

     

    Yannick déglutit. Il se rapprocha du vampire. Il voulait poser sa main sur l’épaule d’Eric. Il le désirait vraiment, afin d’atténuer ne serait-ce qu’un peu la peine qu’il pouvait ressentir. Mais il ne pouvait s’y résoudre, pas après ce qu’il s’était produit entre eux par le passé.
    - Rien ne nous dit que Dan deviendra « le bâtard » de la prophétie…

    Flye releva la tête, les yeux pleins d’espoir vers le sorcier.

    - Je prie pour que tu dises vrai, Yannick. Mais c’est pour ça que tout a commencé, pour faire revenir le Prince. Et il semblerait que quelqu’un ait repris le flambeau. Dan est désormais le seul loup-garou de Crystal Village. Et par ma faute, ce soir, il est peut-être devenu le chaînon manquant…

     

    Le maire se racla la gorge.

    - Quoi qu’il en soit, ta place n’est pas ici. Tu devrais partir. Je prendrais soin de…

    - Est-ce que tu te fous de ma gueule ? coupa le vampire. Tu étais sensé les protéger. Tu as échoué, Yannick. J’assume ma part de responsabilité dans cette affaire, mais je ne délèguerai plus à quiconque le sort de mon fils.

    - Eric, reprit Walker d’une voix calme, rien de bon ne peut découler de ta présence ici. Si le clan découvre ce que tu es, tu mettras Dan en danger.

    Flye marcha vers la porte et l’ouvrit pour indiquer à son visiteur qu’il était temps de partir.

    - Dan n’est plus ton problème, Yannick. La meute n’est plus ton problème, et je ne suis plus ton problème.

    Le maire resta immobile un instant. Pendant quelques secondes, il hésita. Si les deux titans s’affrontaient, rien ne pouvait prédire ce qui pourrait se produire. Finalement, il gagna la sortie.

    - Tu seras toujours « mon problème », Eric. Tu l’es depuis le jour où tu as tué mon frère, et où je t’ai laissé faire.

    La porte se referma d’elle-même derrière ses pas.


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  • red moon - tome i origines couverture

    Résumé :

    Dan est un adolescent tout ce qu’il y a de plus normal : partagé entre sa meilleure amie Claire, ses études et le sport… Mais lors de son entrée au lycée, le jeune homme va réaliser que dans l’ombre, les Initiés semblent se disputer Crystal Village. Ce sentiment d’exclusion ne fera qu’augmenter, jusqu’à ce que le garçon réalise l’implication de sa mère, ainsi que d’Anna, une jeune lycéenne qui fait battre son cœur. Avec l’aide de Liam, un nouveau venu au lycée, et d’Anna, Dan fera tout pour découvrir la vérité, au risque de s’immiscer dans une nouvelle réalité effrayante…

     

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    Chapitre

    Ou en me contactant directement à : jake.berenson@free.fr

     

    Extrait :

    01

     

    Je courais toujours plus vite, poussé par la colère. J’avais l’impression que la chaleur à l’intérieur de mon corps allait me brûler. J’accueillais avec bénédiction chacune des branches qui frappaient mes bras.

    Je ne sentais plus du tout la fraicheur de la nuit. La rosée qui s’installait dans la forêt ne suffisait pas à faire descendre cette fièvre qui m’habitait.

    La lune, pleine au-dessus de ma tête, rendait les environs moins sombres, mais il me semblait que, progressivement, je pouvais discerner chaque élément autour de moi… Comme en plein jour.

    Et je sentis mon corps se gonfler de force. Etait-ce l’adrénaline qui me donnait une telle énergie ? J’étais pratiquement certain de dépasser tous les records de vitesse existants…

    La hargne qui brûlait mon corps semblait se propager dans mes veines, tel un poison. Je grandissais. Mon corps s’étoffait. Etais-je en train de me transformer en monstre ? Cela n’avait pas d’importance, au contraire, cela me donnerait le pouvoir de me venger. Et c’était tout ce que je demandais…

    Lorsque je baissai les yeux, j’aperçus trois corps à mes pieds. J’avais fait ça. J’en étais responsable, pourtant je ne sentais toujours pas la rage quitter mon ventre. J’avais toujours l’impression que cette fièvre allait prendre le dessus sur ma raison, qu’elle allait me rendre fou.

    PAN.

    Une seule détonation. Je me retournai pour distinguer un barillet fumant. Je ne l’avais pas entendu arriver celui là…

    Soudain, la douleur se fit ressentir dans ma poitrine. Je passai ma main sur mon torse. Du sang. Ma vision se brouilla et je tombai au sol. Allongé sur le dos, j’entendis mon cœur résonner dans mes entrailles.

    Le froid. Je le sentis investir mes extrémités, et un frisson me parcourut l’échine. Un individu se pencha sur moi. Ses lèvres remuèrent.

    Et je sentis le tout dernier battement de mon cœur emporter ma vie.

     

    ***

     

    Vendredi 18 Août 2006

     

    Anna se réveilla en hurlant. Elle tenta de ralentir sa respiration haletante, mais son esprit était resté dans cette forêt ténébreuse.

    Progressivement, elle se calma.

    La porte de sa chambre s’ouvrit, une femme en peignoir pénétra dans la pièce.
    - Ca va, mon ange ? s’inquiéta la mère.

    L’adolescente déglutit avant de hocher la tête. Elle passa une main pour éloigner une mèche de cheveux de sa joue.

    Elle devait avoir une mine affreuse. Elle avait transpiré comme si elle venait de courir un marathon, ses cheveux blonds étaient collés à sa nuque et à son visage.

    Elle prit une profonde inspiration.

    - Désolée maman, articula-elle finalement. Ca paraissait tellement… Réel.

    Monique jeta un coup d’œil au réveil : 3h30. Elle s’assit sur le lit de sa fille et lui attrapa gentiment le bras.

    - Qu’as-tu vu ? demanda-t-elle.

    Anna enfouit son visage entre ses paumes.

    - Peu importe, ce n’était qu’un cauchemar… Excuse-moi de t’avoir réveillée.

    La mère plongea ses yeux verts perçants dans ceux de sa fille.

    - Qu’as-tu vu ? insista-t-elle.

     

    La blonde haussa les épaules.

    - J’étais dans une forêt, et… Je crois que je me suis faîte tirer dessus. Je ne sais pas, c’était flou…

    Monique Bales prit une mine renfrognée, accentuant les rides aux coins de ses yeux. Après un moment de réflexion, elle caressa doucement l’avant-bras de sa fille.

    - Prends une douche mon ange, puis habille-toi… Il faut que je te montre quelque chose…

    Anna fronça les sourcils.

    - Fais-moi confiance, assura sa mère.

    Elle quitta la chambre de sa fille et se reposa une seconde contre la porte une fois qu’elle l’eut fermée.

    Je ne pensais pas que cela se passerait aussi tôt…

    Son regard balaya le couloir. Sur une table, à sa droite, tous les bibelots lévitaient à quelques centimètres du meuble.

    Non, ce n’était pas « qu’un cauchemar »…

    Monique posa une main sur la table, les objets descendirent progressivement jusqu’à regagner leur place originelle.

     

    ***

     

    - Maman, où est-ce qu’on va ? questionna Anna.

    L’adolescente avait pris sa douche, mais à peine avait-elle peigné ses cheveux, que sa mère lui avait demandé de monter dans la voiture.

    - Maman ? répéta-t-elle en la regardant de côté.

    Monique semblait ailleurs. Parfois, elle replaçait une mèche imaginaire de cheveux auburn derrière son oreille. Elle était anxieuse, Anna savait reconnaître les signes chez sa propre mère.

    Elle s’était conduite de la sorte quelques années plus tôt, alors qu’elles avaient été cambriolées. En réalisant que quelqu’un avait pénétré chez elles, Monique avait pris sa fille par la main et elles avaient roulé sans un mot jusqu’à la maison de l’oncle d’Anna.

     

    Finalement, la mère tira le frein à main.

    - Maman, qu’est-ce que l’on fait ici ? Il n’y a que les vieilles mines ! Il est quatre heures du matin, pourquoi est-ce qu’on est là ?

    Monique se détacha.

    - Sors, s’il te plait.

    Anna lui attrapa le poignet.

    - Pas avant que tu ne me dises ce qu’il se passe !

    Elle avait légèrement monté le ton. Ce n’était vraiment pas d’elle de se rebeller contre sa mère. C’était son seul vrai parent et elle avait le plus grand respect pour elle, mais son attitude devenait presque effrayante.

    Monique retrouva sa moue habituelle, révélant un visage fermé, orné d’une bouche pincée.

    Lorsqu’elle parla, sa voix était posée et se voulait chaleureuse.
    - Je vais tout expliquer, assura-t-elle. Tu me fais confiance, mon ange ?

    Anna hésita.

    - Oui, répondit-elle finalement.

    Monique lui sourit.

     

    La mère ouvrit le coffre et en sortit un sac beige en toile qu’elle porta en bandoulière. Ce n’était pas du tout son genre d’accessoire habituel…

    Anna serra son manteau contre elle, autant pour se réchauffer que pour se rassurer.

    - Il y a des gens qui mènent durant toute leur existence une vie monotone, et il y a les autres. Il y a ceux pour qui les choses sont en noir et blanc, et une minorité qui voit toutes les nuances de gris, récita Mme Bales.
    L’adolescente suivit sa mère alors qu’elle se rapprochait de l’entrée barricadée de la mine.

    Et maintenant ?pensa Anna devant les planches de bois clouées.

    - Toi, et moi, continua Monique en se tournant vers sa fille, nous faisons partie de la deuxième catégorie. Nous vivons avec les autres sans vraiment prendre part à ce manège… Car nous pouvons voir plus loin.

     

    Monique tendit sa main droite. Son annulaire était orné d’une bague en argent. Le bijou révélait une grosse topaze bleue.

    Les planches de bois se mirent à vibrer. Anna fit immédiatement un pas en arrière.

    Sa mère baissa son bras.

    - Ce n’est rien mon ange, c’est moi qui fais ça…

    L’adolescence la regarda en fronçant les sourcils. Elle se demandait si elle avait vraiment émergé de son cauchemar.

    - Je veux que tu le sentes, fit Monique en attrapant la main de sa fille.

    Une douce chaleur grimpa le long du bras de la blonde. Cette forme d’électricité intangible se répartit dans tout son corps. Ce n’était pas désagréable, bien au contraire… La sensation gagna sa nuque. Elle se sentait vraiment bien, comme apaisée.

    Son corps se relaxa.

     

    De sa main libre, Mme Bales leva deux doigts qui intimèrent aux planches de bois de s’écarter du chemin. En quelques instants, l’entrée de la mine désaffectée fut libre.

    Anna lâcha doucement sa mère.

    - Que… Que s’est-il passé ?

    Sa curiosité n’avait pas disparu, mais on aurait dit que toute forme de peur ou de crainte avait été bannie de son cerveau.

    - Nous sommes des sorcières, expliqua la femme en souriant.

     

    ***

     

    - Quoi ? répéta Anna.

    - Tu m’as bien entendue…

    L’adolescente se pinça pour vérifier qu’elle était bien éveillée.

    Non, pas de doute… Ce n’est pas un rêve.

    Est-ce que sa mère était devenue folle ? Au XXIème siècle, comment pouvait-elle imaginer que les sorcières existaient ?

    - Maman, j’aimerais vraiment rentrer à la maison…

    Monique l’attrapa par le bras.

    - Tu as vu par toi-même. Tu dois me croire, je peux te montrer plus !

    Le regard d’Anna se ficha dans celui de la femme. Elle semblait psalmodier des propos inintelligibles.

    Elle allait lui demander ce qu’elle faisait, lorsque quelque chose entra dans son champ de vision.

    L’adolescente recula. Tout autour d’elle, des feuilles d’arbres dansaient dans les airs.

    - Oh mon Dieu, murmura-t-elle.

    Les feuilles se mirent à tournoyer autour des deux femmes avant de retomber mollement sur le sol.

    - C’est… C’est fou… balbutia Anna.

    Elle se retourna vers sa mère.

    - Je veux rentrer, assura-t-elle.

    La jeune blonde tourna les talons et prit place dans la voiture. Quelques minutes plus tard, Monique la rejoignit dans le véhicule.

    - C’est une chance, dit-elle simplement, un cadeau…

    Je ne veux pas de chance, je ne veux pas de cadeau…pensa l’adolescente.

    Mais elle se garda d’exprimer son opinion.

    La femme posa sa main sur celle de sa fille.

    - Peux-tu honnêtement me dire qu’il ne t’est jamais rien arrivé d’un tant soit peu inexplicable ? Quelque chose qui échapperait à la logique, telle que la conçoivent les non Initiés ?

     

    L’adolescente baissa les yeux.

    Sur des coups de colère, elle avait entendu des portes claquer sans qu’une once de vent ne soit détectable… Mais cela n’était pas une preuve !

    Parfois, elle avait imaginé des chuchotements à ses oreilles… Comme si elle avait pu percevoir les pensées des gens autour d’elle. Mais c’était impossible, l’esprit avait simplement tendance à imaginer des choses.

    Bien sûr, certains de ses pressentiments s’étaient révélés exacts, comme un test de biologie, ou un incident chez une des ses amies…

    D’une petite voix, Anna demanda :

    - Montre-moi.

     

    ***

     

    Jeudi 7 Septembre 2006

     

    Le téléphone sonna dans l’appartement.

    Tom grogna. Pourquoi fallait-il tout le temps qu’on l’appelle dans la nuit ?

    - Shérif Carter, répondit-il en soulevant le combiné.

    - Yannick Walker à l’appareil.

    L’homme se redressa immédiatement dans son lit. Il se racla la gorge et prit une attitude professionnelle.

    - Oui monsieur le maire, que puis-je pour vous ?

    - J’ai bien peur qu’ils soient de retour… Il y a eu un meurtre…

    Quelques secondes plus tard, le shérif raccrochait.

    Il passa sa main dans sa barbe avant de sauter de son lit. Il devait se presser : on ne faisait pas attendre le maire.

    Mais comment avait-il été mis au courant avant lui ?

    Pourquoi faut-il que ça arrive toujours la nuit ?

    Mais bien sûr, il connaissait la réponse à cette question.

     

    Une demi-heure plus tard, Tom était sur place. Le corps avait été retrouvé à la lisière de la forêt.

    Avant de sortir de la voiture, Tom Carter plaqua ses cheveux noir bourrés d’épis sur le côté et mit son chapeau par-dessus.

    Un de ses officiers l’accueillit immédiatement.

    Merde, mais tout le monde est au courant avant moi, ou quoi ?

    - Shérif, c’est une jeune femme. On ne l’a pas encore identifiée. Mais à priori, cela fait quelques jours déjà que son corps est ici. Le coroner a été prévenu, il est en route.

    - Qui a trouvé le corps ?

    L’officier désigna une femme âgée de la quarantaine aux cheveux auburn coupés courts. Ses bras étaient croisés et elle semblait en pleine conversation avec le maire.

    - Monique Bales, décrypta le shérif.

    Et évidemment, elle s’est empressée d’appeler Walker…

    - Merci Mike, préviens-moi quand le coroner arrive.

    L’officier hocha la tête.

     

    Carter avança à l’encontre du grand brun qui parlait à Mme Bales.

    - Monsieur le maire, interrompit-il.

    - Tom, enfin…  

    Le shérif déglutit en baissant la tête. L’homme en face de lui avait un talent pour rappeler aux gens qu’il était au-dessus d’eux.

    Carter releva son regard. Il devait faire attention à ne pas fixer la cicatrice qui ornait le front du maire.

    - Il va falloir recommencer les rondes dans la ville, ordonna Walker. S’ils sont de retour…

    - Du calme, coupa le shérif. Nous ne savons pas si la personne qui a fait ça est toujours à Crystal Village. Nous ne savons même pas si c’est vraiment un…

    - Oh si, trancha à son tour Monique. C’en est un !

     

    Tom prit une profonde inspiration en fixant le regard déterminé de son interlocutrice. Depuis qu’il connaissait la vérité sur « les Initiés », il ne voyait plus personne de la même façon.

    Et ces deux là sont définitivement les plus flippants…se dit-il.

    Il les laissa pour se rapprocher du cadavre. Effectivement, les blessures ne laissaient que peu de place au doute…

    La femme d’une pâleur à faire peur semblait être vidée de son sang. La plaie au cou avait coagulé, mais Walker devinait que le coroner trouverait deux traces distinctes de canines.

    Officiellement, il serait conclu à l’attaque d’un animal sauvage… Il devait rester quelques loups dans ces forêts…

     

    Un peu plus loin, Monique passa sa main sur le bras du maire. Elle arrivait d’ailleurs à peu près à hauteur d’épaule de l’homme au visage carré et aux cheveux poivre et sel coiffés en brosse.

    - Je dois rentrer Yannick, demain Anna… Enfin, tu sais.

    - Embrasse-la pour moi, marmonna le maire.

    Il avait manifestement l’esprit ailleurs. S’ils étaient de retour… Si ce n’était pas un cas isolé… Il se pouvait bien que la paix acquise à Crystal Village depuis quinze ans prenne fin.

    Il fit quelques pas pour rejoindre le shérif.

    - C’était une des vôtres ? Une Initiée ? demanda Tom en désignant le cadavre.

    - Je ne sais pas si c’était une Initiée, admit Walker. Ce n’était pas une sorcière en tous cas…

    Carter ne voulut même pas savoir comment le maire pouvait être certain de cette information…

    - Il semblerait que vous ayez raison, annonça-t-il finalement en s’agenouillant devant la victime. Les vampires sont de retour…

     

    02

     

    Vendredi 8 Septembre 2006

     

    Le soleil venait de se lever. Laura Flye entra dans sa maison. Elle déposa son sac de sport sur le plan de travail et s’approcha du calendrier. La date de la veille était cerclée de rouge.

    Un mois de plus…songea-t-elle en barrant le 7.

    Elle se glissa sans bruit dans le couloir. Arrivée devant le miroir, elle mit de l’ordre dans ses cheveux, où elle retrouva des brindilles accrochées. Ses cheveux longs et blonds étaient vraiment sales. Et elle avait toujours de la terre incrustée sous ses ongles.

    Il faut vraiment que je prenne une douche…

    Elle bailla. La propreté passerait après le sommeil. La vie était une question de priorités.

     

    Elle soupira devant le miroir. Les années passaient vraiment à une allure de cinglés. Si on lui avait dit qu’elle vivrait comme ça…

    Enfin, si les mêmes choix se présentaient de nouveau devant elle, Laura referait sûrement les mêmes… Ce n’était pas comme si elle avait des remords. Simplement une impression d’avoir été prise de court…

    Elle marcha à pas de loup jusqu’à la chambre de son fils. Elle entrouvrit doucement la porte.

    Dan était endormi. Il avait le sommeil très agité. Il gesticulait dans son lit comme si les draps avaient pris feu. Ses cheveux châtains paraissaient plus clairs avec la luminosité naissante.

    Elle sourit inconsciemment. Non, elle ne changerait aucun de ses choix…

     

    L’adolescent devait être en plein cauchemar. Mais il était toujours là, dans son lit… et c’était ça le plus étonnant à son âge…

    Disons qu’il n’est vraiment pas précoce…

     

    ***

     

    Le réveil sonna. Dan se réveilla dans un sursaut. Lorsqu’il ouvrit les yeux, ses iris avaient une couleur dorée. Mais il ne fut pas témoin de ce phénomène, car le temps qu’il gagne la salle de bain et se retrouve devant le miroir, ses yeux avaient recouvré leur noir habituel…
    Il prit sa douche et se coiffa comme à son habitude. Il prit une noisette de gel entre ses doigts et dressa sa mèche en un rien de temps.

    Une fois habillé, il gagna la cuisine.

    Un coup d’œil sur le calendrier lui confirma que sa mère n’avait pas passé la nuit à la maison.

    Comme chaque mois, elle avait sa soirée entre copines, seul souvenir d’une quelconque forme de sortie. Ce n’était pas facile pour quelqu’un comme Laura… Surtout qu’elle était propriétaire d’un bar en ville.

     

    Mais cela tombait bien. Aujourd’hui, Dan n’aurait pas à nettoyer la vaisselle laissée par sa mère. Ou à ranger les caisses qui pouvaient traîner dans le salon. Il se saisit simplement du sac de sport que Laura avait posé sur le plan de travail et le rangea à sa place, après avoir mis le linge sale dans la machine à laver.

    La femme avait dû rentrer quelques heures plus tôt et s’être couchée. Après tout, sa mère était toujours morte de fatigue lorsqu’elle rentrait de ses petites soirées…

    L’adolescent prit son petit-déjeuner tranquillement. Après un coup d’œil à l’horloge, il laissa une note concise à sa mère, prit ses affaires et quitta la maison.

     

    Une demi-heure plus tard, Dan retrouva sa meilleure amie Claire Sireg. Ils se tenaient droits, fixant avec courage la source de leur crainte.

    - Je n’aurais jamais cru que ça arriverait… murmura-t-elle en rehaussant ses fines lunettes à branches métalliques.

    L’adolescent hocha la tête.

    - On se dit que ça peut arriver, continua-t-elle. Tu sais… Que ça va arriver un jour…

    - Pourtant, c’est là… Et on ne peut rien y faire, constata-t-il.

    - Tu es sûr ? s’enquit-elle en plongeant ses yeux noisette dans ceux de son ami. On ne peut pas simplement tourner les talons et ne jamais nous retourner ?

    Dan soupira.

    - J’ai peur que non.

    Il passa une main par-dessus les épaules de son amie. Ce qui n’était pas difficile puisque la fille ne mesurait qu’un mètre soixante bien tassé…

    Ils traversèrent le portail.

    - Tôt ou tard, il faut affronter le lycée, conclut Dan.

    Ils partagèrent un sourire complice et pouffèrent de rire.

     

    ***

     

    - Evidemment, nos casiers ne se trouvent pas du tout au même endroit… remarqua Claire.

    Le lycéen acquiesça.

    - Tu sais bien que le monde essaie de nous séparer, plaisanta-t-il.

    - Je sais ! cria-t-elle. Ils sont tous dans le coup, ces vendus de la scolarité…

    Dan sourit. Elle avait vraiment le don pour le dérider.

    Ils marchèrent ensemble dans le couloir, profitant du brouhaha ambiant pour parler à leur guise.

    - Heu, c’est normal que je ne connaisse pas la moitié des visages ici ? interrogea le garçon.

    Claire passa une main dans ses cheveux châtains méchés.

    - Ils doivent venir du collège privé… Je me demande bien pourquoi Crystal Village a besoin de deux collèges… Tu peux m’expliquer ça ? On est pourtant le bout du monde, non ? Y a tellement de forêts ici qu’on se croirait des elfes, pas une ville à des kilomètres…

    L’adolescent acquiesça.

    - Tes parents n’avaient pas fait une demande pour que tu intègres le collège privé ?

    - Si… admit Claire. Ils ont dû surestimer la fortune familiale…

    - Ah, si j’étais riche… rêva Dan.

    Il avait toujours été difficile pour sa famille de joindre les deux bouts. Un peu plus d’argent n’aurait pas fait de mal…

    - Tu… Tu as pu avoir ta bourse ? demanda l’adolescente, un peu mal à l’aise.

    Son ami acquiesça.

    - Oui, mais je vais essayer de rentrer dans l’équipe de football. Ils offrent d’avantage si on s’investit dans ce magnifique établissement…

     

    - Je crois que c’est ma salle de cours, annonça Claire. Est-ce que…

    Mais Dan n’entendit pas la fin de la phrase : une camarade le bouscula et il fit tomber ses livres de cours.

    Il s’accroupit pour les ramasser. En relevant la tête, il aperçut une fille qui prenait des affaires dans son casier. Elle ne semblait pas très grande, quoi que plus que Claire. Ses cheveux blonds lui arrivaient au niveau de la nuque où ils étaient retroussés vers l’extérieur grâce à un peu de laque.

    Elle allait se retourner, lorsque Claire secoua l’épaule de son ami.

    - Hé, tu m’écoutes ?

    Le lycéen s’éclaircit la gorge.

    - Oui, bien sûr.

     

    - Alors, tu as cours où ?

    Bonne question… pensa-t-il.

    Il tira son emploi du temps d’un livre et tenta de le décrypter.

    - J’y comprends rien… marmonna-t-il.

    - Mauvaise étage, Sherlock ! lança Claire. C’est au 5ème !

    La sonnerie retentit.

    - Heureusement que j’ai Watson… Bon, je te laisse… Je n’aimerais pas faire mauvaise impression.

    L’adolescente sourit avec affection en voyant son meilleur ami slalomer entre les élèves. Puis elle se retourna et aperçut la blonde qui avait volé l’attention de Dan.

    Son sourire disparut.

    Nouvel établissement, nouvelles filles. Elle espérait ne pas y trouver de rivales…

     

    Dan arriva devant l’ascenseur alors que les portes se refermaient.

    - Attendez ! cria-t-il.

    Mais personne ne prit cette peine. Lorsqu’il apparut devant les portes, elles étaient quasiment closes. Il distingua trois élèves, plus vieux que lui, portant des blousons de football. Celui du milieu avait des cheveux blonds coiffés en une queue de cheval. Il haussa les épaules avec un petit sourire.

    - Dommage, glissèrent-ils avant de disparaître.

    Très aimable…pensa Dan. Ca donne envie de rejoindre l’équipe…

    L’adolescent fut condamné à prendre les escaliers en petite foulée. Lorsqu’il atteignit le 5ème étage, il tenta de retrouver son souffle.

    Il gagna sa salle de classe. La porte était déjà fermée. Il frappa avant d’entrer.

    - Dan Flye, je présume ? demanda le professeur.

    L’adolescent acquiesça.

    - C’est bon pour cette fois, mais la prochaine fois vous aurez une retenue… Je ne tolère pas le manque de ponctualité !

    - Désolé, marmonna l’élève avant de se trouver une place.

    Il croisa le regard de certains élèves qui pouffèrent de rire.

    Bien la rentrée… Bien.

     

    ***

     

    Le conseil prit place à l’intérieur de la salle de réunion de la mairie. Yannick Walker présidait, au bout de la longue table en bois.

    - Il semblerait que nous ayons un problème, annonça-t-il.

    Chacun des visages se tourna vers lui.

    - Nous avons eu confirmation qu’un groupe de vampires séjourne à Crystal Village. Le shérif va mobiliser ses officiers pour organiser des rondes de nuit. Nous devons tous nous tenir sur nos gardes. Nous pensons que la fête qui suivra le salon des métiers les attirera. Ils chercheront probablement à faire des victimes lorsque le soleil sera couché.

    Le maire se leva et s’appuya de ses deux mains sur la table, se penchant en avant pour plus d’emphase.

    - Je refuse qu’un seul élève soit pris pour cible.

     

    Un conseiller se racla la gorge avant de demander :

    - Quelle est notre politique vis-à-vis du troisième camp ? Sont-ils même au courant ?

    Walker échangea un regard avec Monique Bales, assise à sa droite.

    - Il semblerait que non… Cette décision doit être prise par le conseil. Les impliquons-nous ou pas ? Nous savons que la collaboration peut engendrer des problèmes, notre système nous garantit un équilibre précaire depuis quinze ans, je n’admettrai pas qu’un groupe de vampires vienne semer le trouble dans notre ville.

    La plupart des conseillers hochèrent la tête.

    - Bien, passons au vote. Ceux qui sont pour inclure la meute ?

    Des mains se levèrent, rares et hésitantes. Le maire compta.

    - Contre ?

    La majorité trancha.

    - Que le gardien du secret soit avisé de cette décision, annonça-t-il au conseil.

    Chacun scruta son voisin. A ce jour, personne à l’exception du maire et de la meute ne connaissait l’identité du gardien. Il était le lien. Celui qui préservait l’équilibre.

     

    Walker demanda au conseil de prendre connaissance auprès du shérif Carter de la disposition des gardes pour le salon des métiers.

    Le maire resta seul un moment, lorsque ses collègues eurent quitté la pièce. Il marcha pensif, les mains croisées dans le dos.

    Il s’arrêta au bout de la salle, devant le rideau bordeaux qui cachait le pan de mur.

    Inconsciemment, il se mit à caresser la cicatrice sur son front. Pourquoi avait-il un tel pressentiment ?

    Il n’avait pas réussi à trouver le sommeil depuis des jours. Non pas qu’il ait eu le même don de prémonition que son frère et sa mère.

    Non, cet héritage n’avait pas été le sien…

    Il effleura le rideau de ses doigts.

    Pourvu que l’on n’en ait pas besoin…

     

    ***

     

    Samedi 9 Septembre 2006

     

    - Alors, tu as vu quelque chose qui t’intéresse ? questionna Claire.

    Dan haussa les épaules. Voilà plus de deux heures que les amis parcouraient les étalages dans l’enceinte du lycée.

    La cour de récréation avait été emménagée pour l’occasion du salon des métiers. Pour la plupart, c’étaient les parents des élèves qui se chargeaient de vanter les mérites de leur profession. Mais l’administration avait tout de même réussi à dégoter des professionnels de tout le pays.

     

    Il y avait également des représentants des grandes écoles supérieures.

    L’adolescent n’avait même pas cherché à s’entretenir avec eux. Ils étaient principalement là pour les seniors, ceux qui quitteraient le lycée l’année suivante. Et de toute façon, les admissions étaient bien trop chères pour ses moyens.

    - Et toi ? demanda finalement Dan.
    Claire désigna l’ensemble des prospectus qu’elle avait récolté.

    - Ca ne peut pas faire de mal de se renseigner… argumenta-t-elle.

    Son ami acquiesça.

    - Ta mère n’est pas venue ? enchaîna la fille.

    Dan sourit.

    - Pour présenter son bar ? Je ne suis pas certain que la vente d’alcool soit très bien vue par le système éducatif…

    - C’est un métier comme un autre, plaida la lycéenne.

    L’adolescent hocha la tête. Il savait que sa meilleure amie avait le plus grand respect pour Laura. Mais elle avait tendance à en rajouter pour qu’il ne se sente pas mal…

     

    - Allez, prends un stand au hasard et lance-toi ! poussa la fille.

    - Ok, marmonna Dan.

    Il laissa passer deux élèves qui venaient en sens contraire et marcha vers le petit chapiteau le plus proche.

    Sous la tente, se trouvaient des employés de la mairie. Il s’approcha de la table qui le séparait d’un homme au front dégarni, et d’une femme aux cheveux auburn, coupés courts.

    Il lut son nom sur une étiquette collée à son pull : Monique Bales.

    - Bonjour, lança-t-il.

    Elle le remarqua enfin et marqua une pause en scrutant son visage.

    - Bonjour, répondit-elle.

    Dan joignit ses mains en signe d’hésitation.

    - Alors… Que pouvez-vous me dire à propos de votre métier ?

    Monique commença à rassembler des prospectus qui trainaient sur la table et les lui tendit.

    - Il est très intéressant, il faut savoir que… Excusez-moi, se coupa-t-elle, est-ce que je vous connais ?

    L’adolescent sourit poliment.

    - Heu, je ne pense pas…

     

    - Peut-être alliez-vous au collège avec ma fille, Anna ? Quel est votre nom ?

    Elle tendit la main au garçon. Il s’en saisit et répondit :

    - Dan. Dan Flye.

    La femme lâcha immédiatement la main de son interlocuteur.

    - Le fils de Laura ?

    Dan acquiesça doucement, surpris. Le changement d’attitude avait été radical : elle était devenue plus froide et avait repoussé sa main comme s’il avait eu la peste.

    Elle attrapa les prospectus de la main du garçon.

    - Tout compte fait, je ne pense pas que ce soit un métier approprié pour un garçon comme vous…

    L’adolescent n’en revenait pas, il jeta un coup d’œil au collègue de Mme Bales, mais ce dernier semblait éviter son regard.

    - C'est-à-dire, un garçon comme moi ?

    Il avait eu l’habitude d’entendre des moqueries dans son dos, par rapport à sa situation familiale singulière, ou parce que sa mère avait un travail habituellement tenu par des hommes… Mais personne ne l’avait jamais traité avec autant de mépris de façon si directe.

     

    La femme pinça sa bouche.

    - Votre profil ne correspond pas au métier, tout simplement.

    Dan la toisa encore un instant.

    - Merci, trancha-t-il, acide. Votre aide a été très appréciable. Je suis heureux de savoir que la ville a à sa tête des gens comme vous…

    Il tourna les talons et sortit du chapiteau.

    Claire l’attendait là.

    - Alors ? demanda-t-elle avec excitation.

    L’adolescent soupira.

    - Trouvons un autre métier, suggéra-t-il. Quelque chose de très, très loin. Tu crois qu’ils cherchent des barmans en Australie ?

    La fille sourit et ils continuèrent leur chemin.

     

    ***

     

    En fin d’après-midi, le salon prit fin. Les élèves et les adultes qui présentaient leur métier furent invités à profiter d’un banquet.

    Une petite esplanade avait été installée en bout de cours. Sur scène, des platines avaient été préparées. Le DJ ne tarderait pas trop, mais tout d’abord, le maire devait faire une allocution.

    - Je te dis que ça va être quelque chose de pompeux sur le futur, chuchota Dan à son amie en dégustant un biscuit apéritif. Tu ne veux pas qu’on rentre ?

    La fille l’attrapa par le bras.

    - Ca fait combien de temps qu’on n’a pas dansé ? s’enquit-elle. Tu essaies toujours de te défiler quand il y a du monde !

    - Claire, fit le garçon avec un sourire entendu, on a dansé il y a un mois à la fête de Danny… Et ce n’est pas ma faute, la foule me donne chaud ! J’ai l’impression que c’est un sauna, ici…

     

    Elle haussa les épaules.

    - On prend un verre, et on va se cacher dans le fond jusqu’à ce que notre cher maire ait fini de nous bassiner, ça marche ?

    Dan grogna. Il ne voulait pas l’admettre, mais il tirait une grande satisfaction à danser. Presqu’autant que lorsqu’il faisait du sport. C’était une parfaite activité pour relâcher toute énergie excédentaire !

    Mais ça ne fait pas très viril…

    Heureusement, il se fichait bien de l’image qu’il pouvait donner aux gens. C’était le miracle que vivre seul avec une mère barman pouvait engendrer…

    - Ca marche…
    Il attrapa deux verres de soda sur la table et joua des coudes pour quitter la foule.

    - Ici, maintenant, vous jouez votre futur ! clama la voix du maire Walker au microphone alors que Dan s’éloignait.

    J’en étais sûr !

     

    Finalement, les deux jeunes s’assirent contre un arbre, à quelques mètres de l’esplanade.

    Claire reposa sa tête contre l’épaule de son ami. Elle se sentait bien, là. Elle serait bien revenue sur sa parole… L’idée de passer la soirée dans cette position plutôt que d’aller danser était tentante…

    - Tu ne trouves pas qu’il y a beaucoup de policiers ? questionna le garçon.

    Elle releva la tête, tirée de ses pensées contre son gré. Elle regarda alentour.

    - Sans blague, on dirait que tout le département du shérif est là, ce soir… Ils ont peur que l’on mette le feu au lycée ou quoi ?

    Dan haussa les épaules.

    On dirait bien…

     

    ***

     

    La fête battait son plein. Anna commençait à se sentir mal à l’aise au milieu de tout ce monde…

    La musique était bien forte et cela n’avait rien à voir avec le genre qu’écoutait sa mère. Le lycée souhaitait vraiment impressionner ses élèves en donnant une image « in ».

    L’adolescente était avec un groupe de copines du collège. Elles semblaient toutes bien plus épanouies qu’elle dans ce milieu.

    Forcément, il y avait tous les garçons plus vieux du lycée, et cela suffisait pour ses amies.

    Elles se trémoussaient toutes sur place en sirotant leur soda. On aurait dit qu’elles étaient prises de spasmes. Suffisamment excitées pour bouger, mais trop timides pour aller sur la piste de danse…

     

    Anna scruta la foule. Les gens commençaient à danser vraiment, mais ils ne s’étaient pas tous précipités. La plupart des nouveaux ne voulait pas détruire toute chance de popularité. Seuls les plus vieux, suffisamment en confiance dansaient sans se préoccuper des conséquences.

    - Mon Dieu, regarde-les ! s’écria Aurélie.

    Anna tourna la tête dans la direction indiquée par son amie brune.

    Un garçon et une fille plus jeunes dansaient au milieu des seniors.

    - Ils ont notre âge, je suis avec lui en cours d’histoire, indiqua la brune.

    La blonde distingua enfin celui dont elle parlait.

    Il portait ses cheveux châtains courts avec une mèche hérissée sur son front. L’adolescent semblait complètement dans son élément sur la piste de danse. Il n’était pas très grand pour un garçon mais faisait bien quinze centimètres de plus qu’elle.

    Il n’était ni trop fin, ni trop large et arborait un sourire franc qui contrastait avec sa peau mate.

     

    - Mignon, tu trouves pas ? lança Aurélie.

    Anna acquiesça sans s’en rendre compte, mais cela ne passa pas inaperçu au milieu de ses amies. Les filles entourèrent la blonde.

    - Va danser avec lui ! suggérèrent-elles.

    - Non, ça va aller, merci… répondit-elle gentiment.

    - Si c’était moi, je le ferais, argumenta la brune.

    Comme les gens deviennent courageux lorsque ça ne les concerne pas…remarqua Anna.

    La blonde se sentit oppressée, ses copines l’acculaient vraiment. Elle sentit des picotements remonter le long de sa nuque.

    Du calme, s’imposa-t-elle.

    Elle joua avec la nouvelle bague qui ornait son majeur gauche.

    - Allez ! Prends ton courage à deux mains !

    La lycéenne secoua la tête pour assurer son refus. Mais ses amies continuèrent de la pousser.

    Le picotement se fit plus intense dans son corps. L’énergie ne demandait qu’à sortir. Si les filles l’asticotaient d’avantage, Anna ne pourrait plus se contenir…

    Il lui semblait que l’améthyste à son doigt commençait à luire légèrement.

    Stop !

     

    Kelly, une fille rousse du groupe lui tendit un verre.

    Anna le but d’une traite pour faire diminuer sa température. Elle fronça les sourcils. Un nouveau type de chaleur gagnait son corps et engourdissait ses extrémités.

    - Qu’est-ce que…
    Mais les picotements s’interrompirent. Et puis quoi ? Elle pouvait très bien aller danser près de ce garçon. Au pire, il la remarquerait… Serait-ce une si mauvaise chose ?

    Elle lança son gobelet vide par-dessus son épaule et s’avança vers la piste de danse.

    Aurélie couvrit sa bouche de sa main. Elle ne revenait pas du culot de son amie. Cela ne lui ressemblait pas du tout…

    - Non ! Elle ne va pas oser ?

    Kelly, triomphante, leva une petite flasque devant le groupe de copines.

    En amenant de l’alcool à une fête de lycée, je suis officiellement cool !pensa-t-elle.

    - Avec une petite dose de courage dans son verre, pourquoi pas ?

    La brune parut offusquée.

    - Tu n’as pas fait ça ?

    La rouquine haussa un sourcil.

    Aurélie s’élança à son tour vers la piste, mais il était trop tard…

     

    ***

     

    A quelques kilomètres du lycée, un groupe se réunissait. Ils avaient tous accouru dès le coucher du soleil, à l’orée de la forêt.

    Une vingtaine de vampires prit place autour de la souche du maître. Chacun d’entre eux était plus pâle que le précédent. La faim et l’excitation brûlaient leurs entrailles.

    Finalement, le seigneur se hissa sur la souche morte. Il portait un long manteau noir à capuche. Son identité devait rester secrète, au moins pour les deux premières étapes de son plan…

    Il contempla sa horde de fidèles en contrebas.

    - Mes frères ! lança-t-il en écartant ses bras. Notre retour à Crystal Village est enfin arrivé. Il est temps de reprendre cette ville qui est la nôtre !

    Les hommes et femmes levèrent leurs poings en l’air et crièrent.

    - Ce soir, nous mordons pour tuer ! Ce soir… Nous montrons au monde que cette ville est notre territoire !

    De nouveau, la troupe acclama.

     

    Le seigneur descendit de son perchoir.

    - Clément, j’aimerais te parler…

    Le chauve musclé se rapprocha de sa démarche chaloupée. Le vampire attrapa son sous-fifre par le bombers noir.

    - J’avais ordonné de ne faire aucune victime avant ce soir, murmura-t-il de sa voix suave. Ne sais-tu donc pas contrôler ta soif ?

    - P… Pardon maître, balbutia le chauve. Elle est passée près de la forêt, et… Elle sentait si bon.

    Le seigneur tapota sur l’épaule de son larbin. Ce dernier avait beau être deux fois plus large, il n’était pas très rassuré.

    - Je comprends, le lapin, ça va bien cinq minutes…

    Il sourit sous sa cagoule. En un éclair, il attrapa la gorge de Clément entre ses doigts et le souleva à plusieurs centimètres du sol.

    - Désobéis de nouveau et tu es bon pour un bain de soleil !

    Il balança sa victime plus loin.

    - A table, conclut le chef de la horde.

     

    Les visages se transformèrent. Des canines humaines se transformèrent en crocs d’animaux sauvages. Les veines se firent plus visibles sur les visages. Leurs yeux virèrent au noir, comme s’ils étaient vides.

    Le vampire était un animal. Une bête, reine de la nuit. Le parfait prédateur. Naturellement créé pour tuer. Une créature à la vitesse inégalable et à la soif éternellement inassouvie.

    Le vampire… Etait en chasse.

     

    ***

     

    Anna avait la tête qui tournait, elle trébucha en arrivant sur la piste. Dan l’a rattrapa avant qu’elle ne touche le sol.

    - Ca va ? demanda le garçon.

    Elle acquiesça sans oser parler.

    Quelques secondes passèrent sans qu’il ne lâche son bras. Il lui sourit. Elle allait se présenter lorsqu’une main tapota sur l’épaule de l’adolescent.

    - Viens Dan, c’est la musique parfaite, il faut qu’on fasse la danse Africaine !

    Claire jeta un coup d’œil à la blonde en face d’elle.

    - Salut, dit-elle mollement.

    Elle tira son ami par le bras.

    - Allez viens !

    - J’arrive, répondit-il.

    Il se tourna vers la Anna.

    - Ca va aller ?

    Elle hocha la tête et força un sourire.

    Il resta encore quelques secondes avant de suivre Claire qui le tirait vers le centre de la piste.

     

    - Allez Sherlock, il est temps de leur montrer ce qu’on a dans le ventre ! Trois, quatre…

    Les deux amis se mirent à se déhancher selon la routine qu’ils avaient apprise plusieurs étés plus tôt.

    Bientôt, leurs amis du collège les rejoignirent pour compléter la chorégraphie.

    - Hou ! Danny est dans la place ! cria Claire alors que son ami se mit à danser.

    Ils faisaient un tabac, même les seniors se mettaient à suivre leurs pas.

    L’adolescente éclata de rire. C’était parfait. Le lycée, ce n’était pas aussi dur que l’on disait : Dan et elle étaient déjà populaires !

    Elle chercha son ami du regard.

    Il dansait également, mais il fixait un angle de la piste avec insistance. Claire suivit la direction de son regard.

    Elle fronça les sourcils. La blonde qu’ils avaient croisée était accroupie et tenait sa tête entre ses mains.

     

    Avant qu’elle n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit, elle aperçut Dan qui traversait la piste pour rejoindre l’adolescente.

    Claire s’arrêta de danser. Elle resta immobile au milieu de la foule à les contempler.

    Pourquoi il ne reste pas avec moi ?se demanda-t-elle.

    Elle leur accorda un dernier regard et prit la direction opposée.

     

    Dan s’accroupit aux côtés de sa camarade. Depuis qu’elle avait quitté la piste, elle s’était mise dans cette position. La mère du garçon tenait un bar, il savait très bien à quoi ressemblait quelqu’un qui avait trop bu… Mais comment cette fille avait-elle eu accès à de l’alcool ?

    Il l’attrapa et la souleva doucement. Elle s’appuya sur lui et il passa son bras par-dessus ses épaules.

    - Ca va aller, assura-t-il.
    - Ca tangue, marmonna-t-elle.

    Il l’éloigna des enceintes qui ne devaient pas arranger la situation pour la blonde.

    Lorsqu’ils furent plus au calme, il l’assit contre un arbre.

    - Est-ce que tu es venue avec des amies ?

    Elle hocha la tête et désigna le banquet. A côté des tables, un petit groupe de filles sirotait des sodas sans quitter les danseurs des yeux.

    - Ne bouge pas, je reviens…

     

    Il laissa la blonde et se dirigea vers les filles. Elles s’écartèrent pour le laisser passer.

    Sans plus de présentation, il attrapa le verre de la rouquine qui lui faisait face.

    - Mais qu’est-ce que tu fais ? s’énerva-t-elle.

    Dan porta le gobelet à son nez et sentit le breuvage. Ca puait l’alcool… Il jeta le verre au sol.

    - Mais t’es taré ! cria-t-elle.

    Dan désigna Anna du doigt :

    - Y a votre copine qui ne se sent pas bien. Vous pourriez au moins prendre soin des vôtres…

    Une brune à côté du garçon posa son verre pour se précipiter vers son amie. Deux filles suivirent.

    - Non, mais tu te prends pour qui, Superman ? cracha la rouquine.

    Dan secoua la tête. Il la regarda une dernière fois, médusé, et retourna voir Anna.

     

    La brune avait passé son bras dans le dos de son amie et la conduisait dans le lycée.

    Dan ouvrit la porte des toilettes. Le groupe de copines précéda la brune et s’occupèrent d’Anna.

    - Merci.

    Le garçon hocha la tête, tentant d’apercevoir la blonde derrière.

    - Pour ce que ça vaut, je ne savais pas que Kelly avait mis de l’alcool dans son verre. Je m’appelle Aurélie.
    L’adolescent releva finalement son regard pour croiser celui de son interlocutrice.

    - Dan… se présenta-t-il à son tour. Prenez soin d’elle.

     

    ***

     

    Claire attendait, adossée à un tronc d’arbre, dans la cour de récréation. Elle s’était mise en retrait, dans le seul espace qui abritait un peu de verdure.

    Elle avait vu son ami disparaître au secours de sa promise blonde, et puis elle ne l’avait plus recroisé.

    Elle s’était dit qu’à un moment ou un autre, il serait revenu la chercher. Ne serait-ce que pour la prévenir qu’il quittait la fête…

    Mais non.

    Elle sentit le froid la gagner progressivement. C’était la fin de la belle saison, et après avoir dansé comme elle l’avait fait, l’inactivité entraînait une certaine fraicheur…

    - Trop bruyant pour toi ?

    Elle se retourna, surprise.

     

    Un adolescent aux cheveux noir coiffés en pics se tenait devant elle. Il était pour le moins sexy avec sa fossette et sa mâchoire carrée…

    - Trop de monde, corrigea-t-elle.

    Il lui tendit un verre.

    - Je m’appelle Liam. Et toi ?

    - Claire, répondit-elle en se saisissant du gobelet.

    Il lui sourit.

    Quel sourire ravageur…
    - C’est un joli prénom, commenta-t-il.

    Elle leva les yeux au ciel.

    - C’est un prénom commun.

    Elle but une gorgée alors qu’il faisait un pas vers elle. Il se pencha vers elle et éloigna une mèche qui balaya le visage de la lycéenne.

    - Non, assura-t-il. C’est un joli prénom.

     

    Elle ne put s’empêcher de lui sourire.

    Définitivement sexy…
    - Tu veux faire un tour ? proposa-t-il.

    Elle hocha la tête et ils s’éloignèrent d’avantage de la foule pour pénétrer dans le lycée.

    Les couloirs de l’établissement étaient éclairés, pourtant il n’y avait presque personne dans les locaux. Les deux étudiants s’assirent contre les casiers.

    Cela faisait du bien d’être de nouveau au calme.

    - Je ne t’avais jamais vu… Tu allais au collège privé ? interrogea Claire.

    Liam secoua la tête.

    - Non, nous avons emménagé il y a quelques mois… Toi, tu vis ici depuis longtemps ?

    Elle hocha la tête.

    - Aussi loin que je me souvienne… Je te préviens, ici c’est la campagne, il ne va rien t’arriver de très excitant.

    - C’est aussi bien, répliqua le brun, tu n’imagines même pas le genre de personnes sur lesquelles tu peux tomber en ville…

     

    Claire se mordilla la lèvre, hésitante.

    - Tu veux pas danser ? proposa-t-elle.

    - Ici ? demanda-t-il.

    - Et pourquoi pas ? Le citadin a peur d’avoir l’air bête ?

    Liam se leva et tendit une main à la fille pour l’aider à se lever.

    Les lumières s’éteignirent toutes en même temps.

    - Qu’est-ce qui se passe ?

    Il n’y avait plus que les signes « issue de secours » qui diffusaient une pâle lumière verdâtre dans le couloir.

    Liam se retourna, décidé à retourner dans la cour.

    - Aaah ! s’écria Claire de surprise.

    Un individu se trouvait au milieu du couloir, entre les deux adolescents et la sortie.

    Il semblait avoir surgi de nulle part.

    L’homme s’avança doucement et s’arrêta à quelques mètres des deux jeunes. La lumière de l’issue de secours éclaira son visage.

    - Mon Dieu, qu’est-ce que c’est ?

    La créature avait une silhouette humaine, mais en y regardant de plus près, on discernait de grosses veines qui partaient de la commissure de ses lèvres. Ses yeux étaient deux billes noires sur un fond rouge, comme si les vaisseaux sanguins avaient explosé tout autour.

    Il ouvrit la bouche et passa sa langue sur ses deux canines monstrueuses.

    Liam tira Claire derrière lui.

    - Ca, c’est un vampire… expliqua-t-il sans quitter son adversaire des yeux.


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    Résumé :

    Et si vous trouviez un journal qui traitait de votre futur proche ? Et si ce journal semblait connaître le moindre secret intime vous concernant ? Et si l’écriture du journal était la vôtre, mais que vous n’aviez aucun souvenir de l’avoir un jour rédigé ? Et si ce journal vous racontait la fin du monde ? … Y croiriez-vous ?

     

    Où se le procurer ?

    Edilivre

    Amazon

    Chapitre

    Ou en me contactant directement à : jake.berenson@free.fr

     

    Extrait :

    Prologue

     

    Thomas Cichevet jura en sortant son téléphone portable. Voilà une heure qu’il cherchait cette satanée bibliothèque. L’Alcazar était pourtant censée être la plus grande de tout Marseille.

    J’te retiens Julien…

    Leurs examens de quatrième année de pharmacie commençaient en fin de semaine. Durant le mois entier de révision, Thomas avait été incapable de se mettre vraiment au travail. Que ce soit l’ordinateur avec son facebook, ou le soleil d’été qui commençait à s’installer pour de bon, il y avait toujours eu une distraction pour le sortir de sa fragile concentration…

    Le brun soupira. Il se connectait à internet avec le téléphone.

    Bien sûr, il avait travaillé régulièrement pendant le quadrimestre. Mais bon… Ceux qui prétendaient que cela suffisait amplement pour réussir les finaux avaient définitivement tort.

    Un de ses amis lui avait alors conseillé de changer d’environnement de travail, et la bibliothèque de Marseille rassemblait de nombreux élèves désireux de potasser leurs cours.

     

    L’étudiant plongea sa main dans son jean pendant que les coordonnées GPS de la bibliothèque se reliaient à celles de son téléphone pour lui trouver le plus cours chemin jusqu’à destination.

    Finalement, le portable émit un bip triomphant.

    Hé ben, voilà !pensa Thomas en se passant une main dans ses cheveux coupés en brosse.

    Il quitta le métro Noailles et descendit l’avenue jusqu’à tomber sur la bonne intersection, puis remonta vers la bibliothèque.

    Il sourit lorsqu’il aperçut les lettres monstrueuses sur la façade : ALCAZAR.

    Yeah baby.

     

    Son téléphone se mit à sonner. Sa mère. Il décrocha. Encore ses parents, cherchant probablement à savoir s’il parvenait enfin à travailler.

    Ils ne pouvaient pas se mêler de leur vie, ceux là ?

    - Ouais ?

    - Coucou mon chéri, ça va bien ?

    Thomas grogna en guise de réponse.

    - Est-ce que tu pourrais me rendre un service ? demanda sa mère.

    Nous y voilà…

    - Ton père et moi partons pour New York dans quelques heures, est-ce que tu pourrais venir t’occuper du chien et garder la maison pendant quelques jours ?

    Bien sûr, parce que moi je n’ai rien à faire de mes journées…

    - Wahou, un préavis de deux heures ? Vous vous améliorez…

    Sa mère garda le silence un moment, puis en hésitant elle lança :

    - Ca veut dire oui ?

    Inutile d’insister, s’il tentait de dire non, elle l’aurait à la culpabilité. « Pense donc à tous ces phoques qui ont besoin de notre aide ! ».

    Les parents du jeune homme étaient impliqués dans la cause environnementale depuis des années. C’était la principale raison pour laquelle il ne les voyait que rarement. Ce qui ne l’embêtait pas plus que ça.

    Il adorait ses parents, mais leurs relations s’étaient largement améliorées lorsqu’il avait déménagé à Marseille pour ses études…

    Le problème avec leur état d’esprit très « Greenpeace » était qu’ils partaient en vadrouille aux quatre coins du monde toutes les cinq minutes, et demandaient à leur fils unique de garder le chien, la maison, les poules, de s’assurer que la piscine ne virait pas au vert et autres tâches de la sorte…

     

    Pour la forme, Thomas souffla dans le téléphone, de sorte que sa mère sache que ce n’était pas de gaîté de cœur.

    - Ouais, ça veut dire oui, répondit-il finalement.

    - Merci mon chéri. L’univers te le rendra, ajouta-t-elle en prêchant sa croyance.

    Pour elle, les lois de notre monde étaient régies par le karma. Une bonne action entraîne à terme un retour positif, alors qu’un « non » peut avoir des répercussions terribles…

    - Tu veux quelque chose de New York ? proposa-t-elle.

    - J’aimerais bien des bottes en peau de phoque…

    - Oh, tu es horrible ! Est-ce que tu te rends compte que…

    Mais Thomas avait coupé la conversation. Sa mère n’avait jamais été très réceptive à l’humour, de toute façon.

    Il allait regarder l’heure sur son portable, mais un clocher sonna dix coups alors qu’il entrait dans le sas de la bibliothèque.

    Il avait quelques heures pour bosser, mais il devrait prendre la voiture et rentrer dans son village.

    Autant pour mes superbes révisions…

     

    Il éteignit son portable. Lorsqu’il releva les yeux, les lumières de la bibliothèque vacillèrent toutes en même temps. Les gens levèrent les yeux vers les néons, au plafond.

    Thomas entendit un grand bruit de déchirure sur sa gauche. Il fronça les sourcils alors que le courant revenait. Il hésita : l’entrée se trouvait sur sa droite, où les vigiles regardaient les arrivants d’un air suspicieux.

    Finalement, l’étudiant fit quelques pas sur sa gauche. Il regarda alentours. Qu’est-ce qui avait pu faire ce bruit ?

    Son pied buta dans un objet, il baissa la tête. Un carnet jonchait le sol. Il se baissa pour le ramasser.

    Sa couverture était en cuir et il était comme empaqueté par une lanière. Il tira sur le fil et fit tourner quelques pages. Certaines étaient gondolées, comme si elles avaient été mouillées. Une odeur de sel s’échappait du bouquin.

    Le port n’était qu’à quelques dizaines de mètres, est-ce que quelqu’un l’y avait fait tomber ?

     

    Il passa l’inspection de sécurité en montrant l’intérieur de son sac.

    Ouais, que des bouquins barbants, désolé…

    Une file de personnes s’étendait devant lui. Ils voulaient tous rendre les romans empruntés.

    Issu d’une famille plutôt débrouillarde – ou culottée, la limite était fine – Thomas coupa la file et interrompit une femme qui rendait ses livres à un employé de la bibliothèque.

    - Excusez-moi, mais j’ai trouvé ce bouquin par terre, à l’entrée…

    Il déposa le carnet sur le plan de travail. Il fit demi-tour, avant que quelqu’un ne s’en prenne à lui pour avoir osé perturber la file, mais il fut immédiatement apostrophé par l’employé.

    - Monsieur, ce livre n’appartient pas à la bibliothèque.

    Thomas adressa un regard interrogatif à son interlocuteur. L’employé devait friser la cinquantaine, ses cheveux grisonnants étaient tirés en une queue de cheval et il avait l’oreille percée.

    Il est resté à Woodstock, lui ou quoi ?

    Le baba-cool sur le retour lui tendit le livre. L’étudiant hésita, puis sous le regard menaçant de la femme qu’il avait interrompue, il s’en saisit et monta au deuxième étage.

     

    Thomas s’installa sur une table, loin de la foule de travailleurs. Il se connaissait : s’il avait la moindre excuse pour se divertir, sa journée était foutue. Alors il valait mieux s’éloigner autant que possible de la gent féminine…

    Loin des proies potentielles…se dit-il dans un petit sourire. C’est que le célibat commencerait à se faire difficile…

    Avant toute chose, il sortit le « vingt minutes » de son sac et commença à feuilleter le journal gratuit.

    « L’OM vainqueur de la coupe »… Ouais, ça fait presqu’un mois, mais on est toujours heureux de le lire dans le journal.

    « Découverte scientifique aux Etats-Unis, nouvelle source d’énergie renouvelable, premier essai en fin d’après-midi ». Bon ça fera plaisir à mes parents, mais on s’en fout…

    Il tourna quelques pages et sourit.

    Ah voilà ! L’horoscope !

    Vierge (lol) : le début de journée sera monotone, jusqu’à ce qu’une rencontre ne vienne perturber votre routine…

     

    Thomas haussa un sourcil.

    Mouais…

    Finalement, il ouvrit son polycopié de cancérologie et commença à lire. Au bout de cinq minutes, il en avait déjà marre. Son regard balaya la grande salle et retomba dans l’angle de sa table.

    Le journal à la couverture en cuir était posé là. Avec une pointe de culpabilité, il ferma son polycopié et tira le livre vers lui.

    Il observa le journal sous toutes les coutures. Il n’y avait pas de code barre, effectivement, il n’appartenait pas à la bibliothèque. Ca ressemblait plus à un vieux journal intime.

    Son propriétaire devait le chercher… C’était un peu une violation de vie privée, mais comment retrouver son possesseur s’il n’ouvrait pas le journal ?

    Sur la première page étaient griffonnés ces quelques mots :

    «  Journal d’un autre temps »

    Il fronça les sourcils.

    Cette écriture ressemblait beaucoup à la sienne : les lettres étaient calligraphiées comme celles d’un ordinateur, mais sans être immenses comme l’orthographe habituelle de ses copines. De plus, l’auteur écrivait légèrement en italique… tout comme lui.

     

    Il lut en diagonale les premières pages.

    C’est pas possible, quelqu’un se fout de ma gueule !

    Il regarda de nouveau autour de lui, cherchant le responsable de cette blague. Mais il n’y avait aucun coupable évident. Et qui savait qu’il passerait par là ?

    Julien ?

    Non, son ami était gentil et blagueur, mais il était absolument incapable de concevoir un plan aussi construit et abouti…

    Il n’en croyait pas ses yeux. Il referma le journal. Il avait une certaine taille. Il ne pouvait vraiment pas se permettre de dévorer un roman aussi près de ses examens.

     

    Pourtant l’envie prit le dessus. Il recommença à la toute première page du récit et se plongea dans l’histoire. Elle était rédigée à la première personne, véritablement comme un journal intime.

    Mais au fil des mots et des lignes, malgré sa surprise, il se retrouva plongé à l’intérieur, et plus rien autour de lui ne put le sortir de sa transe…

     

    PARTIE UN : Le big T

     

    01

    « It’s the end of the world… » - Dead by sunrise

     

    « Journal d’un autre monde » : c’est le titre que j’ai choisi. Pourtant c’est ridicule, je le sais bien. Nous respirons le même air, et c’est bien la même planète… Malgré les apparences.

    Mais comment pourrait-on parler de Terre. Ce serait plutôt la planète Mer !

    Les choses ont tellement changé… Mais peut-être devrais-je commencer par le début. Je ne sais pas si je crois en une amélioration prochaine. Je n’espère plus qu’une chose : retrouver mes parents.

    Alors pourquoi écrire un journal ? Pourquoi raconter mon histoire ? Au début je me disais que les générations futures… Mais quelles générations ?

    Non, j’écris parce que si je ne consigne pas mes pensées, j’ai peur de mélanger les faits et mon imagination…

    J’ai peur que si je n’écris pas… Je devienne fou.

     

    Mon nom est Thomas.

    J’ai un nom de famille, bien sûr. Mais cela n’a plus d’importance. Ma qualification est ma carte d’identité : je suis premier plongeur  à bord du « Loïs & Clark ». C’est le nom de notre bateau, enfin, plutôt son surnom. 

    C’est un jeu de mot, vous comprenez ? Lewis & Clark étaient les deux premiers explorateurs de l’Amérique. C’est là que nous allons, et comme nous avons besoin de courage, pourquoi ne pas emprunter le nom d’un type imbattable ?

    Enfin, je tiens à préciser que ce n’est pas moi qui ai nommé ce bateau. Son appellation originale est vraiment nulle…

    Au début j’étais exclusivement connu sous le nom de « Longue vue ».

    Enfin, c’est une longue histoire, et je vous avais promis de commencer par le début, alors le voilà…

     

    Tout a commencé le 5 juin 2010. La date qui changea le monde.

    Le jour du big T.

    J’étais occupé à réviser et flipper pour mes examens approchants. Notez que si j’avais su que le corps entier du professorat de ma faculté finirait noyé, je me serais fait moins de mouron…

    J’étais à la bibliothèque pour réviser pendant la journée. Puis je suis rentré chez moi en milieu d’après-midi.

    J’ai pris le tramway pour la dernière fois de ma vie, puis j’ai pris ma voiture et j’ai conduit de Marseille à la Fare les Oliviers, mon village natal.

    Je me garais dans le gravier de la propriété de mes parents quand mon chien Flip vint m’accueillir.

    C’était un boxer fauve. C’était pour lui que je rentrais. Il fallait bien quelqu’un pour s’occuper de ses quarante kilos de joie de vivre. Je n’étais pas encore sorti de mon siège qu’il m’avait sauté dessus pour me lécher le visage.

    Je me suis libéré tant bien que mal et j’ai pris une grande bouffée d’air. J’adorais la campagne. Vivre dans la colline, pouvoir croiser des lapins à la tombée de la nuit ou bronzer à poil sur la terrasse avec personne à des kilomètres… le bonheur !

     

    J’ai fait le tour de la propriété de mes parents puis je suis rentré avec ma clé. J’ai servi une gamelle de croquettes au chien, pour qu’il me lâche la grappe, puis je me suis installé à la table du salon pour tenter d’inscrire dans ma caboche quelques informations de cancérologie.

    Je me souviens du moment où c’est arrivé. Je venais de lever les yeux vers l’horloge murale – comme toutes les cinq minutes quand je révise – et elle indiquait 16h27.

    C’est là que je l’ai aperçu. Au début j’ai cru à du brouillard. Ce qui est ridicule puisqu’en près de vint cinq années dans le midi, j’ai dû voir trois fois du brouillard. Et sûrement pas en début de mois de juin…

    Je me suis levé. Le chien s’est mis à aboyer. Et j’ai réalisé. Il y avait un mur d’eau qui arrivait à toute vitesse dans ma direction. Ce n’était pas un mur… Il n’y avait pas de mot pour décrire ça.

    C’était de l’eau, ça j’en étais certain, malgré la couleur terre qu’elle arborait. Malgré les morceaux de maisons qu’elle emportait dans son sillage. A la base, c’était une bête eau de mer !

     

    Mais cette vague. Elle était tellement gigantesque ! C’était comme si dix stades Vélodrome alignés les uns à côté des autres étaient projetés sur moi en même temps. Elle devait faire trente mètres ! Non, plus ! Cinquante, quatre-vingt ?

    Je me suis jeté sur le canapé. Ridicule. Pourtant c’était le réflexe qui sauva ma vie. En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, la vague franchit les kilomètres qui la séparaient de ma maison et la traversa.

    Parfaitement, elle traversa les portes fenêtres comme si c’était des brindilles. Chacune des vitres explosa. Un pylône en pierre explosa la cheminée et passa au travers de la salle à manger.

    Adieu la cancérologie… Mes polys étaient perdus à jamais.

    Le bruit était monstrueux, on aurait dit un mélange entre le siphon de la baignoire puissance dix milliards et un volcan en éruption.

    Le canapé se retourna – avec moi à l’intérieur – et se retrouva bloqué entre deux piliers fondateurs de ma maison. Je suis resté là. Ma tête avait un petit peu rencontré mon genou. Le genou avait gagné et j’arborais une balafre au niveau du front. Ma cheville s’était coincée sous le canapé et me faisait un mal de chien.

    Une branche pulvérisa le centre molletonné du canapé, mais se retrouva bloquée à quelques centimètres de mon œil.

    Puis le bruit s’éloigna, et l’eau commença à dégouliner autour de moi.

     

    De mon pied libre, j’ai shooté dans le canapé pour qu’il se retourne. Je me suis doucement mis debout. Et j’ai constaté le massacre autour de moi.

    - Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? ai-je murmuré.

    Car c’était le mot ! Est-ce que les médias n’étaient pas censés prévenir si un tsunami s’apprêtait à pulvériser la côte bleue ?

    La télé, réalisai-je.

    Par un quelconque miracle, elle avait été épargnée et trônait toujours en maîtresse de maison dans l’angle.

    Je retrouvai la télécommande dans un coin opposé, notai au passage l’absence des deux autres canapés – eux avaient dû finir leur route plus loin dans la colline – et m’approchai de l’écran…

    J’appuyai sur le bouton. La télévision lança quelques étincelles et implosa. Je me projetai au sol pour éviter de partir en fumée.

    - Ha bravo mon ptit Tom ! hurlai-je contre moi-même. Bac plus quatre et t’es pas foutu de penser qu’allumer un appareil électrique dans une baraque inondée ce n’est peut-être pas la meilleure idée !

    Abruti !ajoutai-je pour la forme.

     

    Je pris quelques instants pour me calmer et réfléchis quelques minutes avant de réaliser ma prochaine trouvaille.

    J’ouvris un placard de la cuisine après avoir contourné une balançoire que je n’avais jamais vu là, et sortis un poste de radio. Il était sec. Je fis un peu de place sur le plan de travail, épongeai le reste de flotte avec mon t-shirt et posai l’engin avec délicatesse.

    Puis je me mis à la recherche d’un signal. Ô surprise : ni RTL2, ni RFM sur les ondes… Mais après quelques temps, un éclat de voix se fit entendre au milieu des crépitements. Je réglai avec plus de justesse et écoutai la voix comme le messie. Seuls des morceaux me parvenaient.

    - … La première vague a fait des ravages…

    Première ?

    - … Tout contact avec les Etats-Unis coupé… Eux, les premiers touchés par le big T… Le big Tsunami…

    Je réfléchis à toute vitesse. Comment la vague pouvait-elle toucher les Etats-Unis et la mer méditerranée ? Je devais revoir ma géographie, parce que normalement…

    - … Doivent se préparer pour la deuxième vague… Le vrai tsunami…

    Un frisson me parcourut l’échine. Le « vrai tsunami » ? Mais qu’est-ce qui venait de passer sur ma maison si ce n’était pas le vrai tsunami ?

     

    Je sortis sur la terrasse. Le gravier autour de la piscine avait été complètement emporté. Ainsi que la moitié du toit : je pouvais voir l’intérieur des deux chambres à l’étage. Il ne restait plus grand-chose de la façade exposée plein sud. Je me retournai pour voir l’étang de Berre complètement vidé. La raffinerie avait été entièrement emportée. Les maisons alentours semblaient tout autant déchirées par la vague.

    - Une deuxième, murmurai-je.

    Mais comment résister à quelque chose d’encore plus puissant que ça ? Je regardai autour de moi : rien n’avait été épargné ! Les centaines d’oliviers de mes parents s’étaient faits déchiqueter, il n’y avait pratiquement plus un arbre à l’horizon !

    La cave peut-être ? Je fis le tour. Les fondations étaient toujours en place. Certes, l’endroit avait résisté, mais il était complètement inondé !

    Je retournai à mon point de départ. Finalement, la seule chose à avoir résisté était…

    - La piscine.

    Sans le gravier, elle semblait sortir directement de la terre, pourtant elle n’avait pas bougé, et demeurait bien fixée au béton. Je sautai pour attraper le rebord, désormais surélevé…

    Il y avait un peu de terre à l’intérieur, en plus de l’eau. C’était une idée ridicule qu’on a lorsqu’on est enfant…

    C’est comme croire que si un ascenseur tombait, on pourrait s’en sortir en sautant à pieds joints, au moment où il toucherait le sol.

    Penser que je pourrais survivre à un tsunami au fond de ma piscine… J’étais loin d’être une lumière ! Pourtant…

     

    Je me précipitai dans le garage. Le temps était compté : qui pouvait dire à quel moment l’autre vague frapperait ?

    Mes parents étaient extrêmement branchés nature, sport. Ils m’avaient emmené faire de l’escalade dans l’Himalaya, plonger en Nouvelle-Calédonie au milieu des requins…

    Nous avions trois bouteilles de plongée. Je tractai deux des blocs dans la piscine et les jetai à l’intérieur. Je capelai le dernier : jacket, détendeur, manomètre. Je fouillai dans le bazar qu’était devenu le garage et réussis à extirper ma combinaison et un ordinateur de plongée.

    Mon téléphone portable était toujours dans ma poche. Bien que mon pantalon soit un peu humide, il avait survécu.

    Je trouvai une pochette plastique – spécialement adaptée à la plongée – le fourrai à l’intérieur et le coinçai entre ma peau et la combinaison de plongée. Lorsque j’arrivai de nouveau devant la piscine, ma bouche s’ouvrit en grand.

    La vague qui s’avançait vers moi était plus grande que la tour Eiffel. Plus grande que tout ce que j’avais vu dans ma vie. Rien au monde ne pouvait être aussi énorme que ça. C’était impossible ! Ce n’était pas naturel ! Oubliez les trente mètres ! Celle-là devait en faire trois cents !

     

    J’aimerais vous mentir. Vous dire que j’ai pris mon courage à deux mains, que j’ai gardé mon sang froid. Mais l’être qui fait face à une telle immensité sans trembler n’est pas humain.

    Une boule s’est prise dans ma gorge. Mes yeux se sont remplis de larmes. Mon corps s’est retrouvé pris de tremblements incontrôlables.

    Je sais que ça ne devrait pas se produire, j’étais adulte après tout. Mais vous savez quoi ? Une vague de plusieurs dizaines de mètres projetée à je ne sais combien de centaines de kilomètres/heures non plus, ça ne devrait pas exister.

    Par je ne sais quel miracle, je me suis hissé sur le bord de la piscine. J’ai pris une grande inspiration, mis le détenteur dans ma bouche et ajusté mon masque sur mon visage. J’ai fermé mes yeux. Je forçais tellement sur mes paupières que des petits éclairs palpitaient contre ma rétine.

    J’ai pensé à mon chien que je n’avais pas revu depuis la première vague. A mes amis à la faculté. Et surtout j’ai pensé à ma famille. Mes parents. Ma mère à qui j’avais raccroché au nez, quelques heures plus tôt…

    Et j’ai sauté dans l’eau.

     

    02

    « C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme… » - Renaud

     

    Mes yeux sont restés fermés pendant toute la durée de la secousse. Je me suis raccroché aux blocs de plongée qui devaient chacun peser une trentaine de kilos. Mon masque s’est pratiquement fait arracher de mon visage, mais la lanière l’a maintenu autour de mon cou. A un moment, tout est devenu noir : quelque chose avait dû recouvrir la piscine. Mais mes yeux sont restés fermés envers et contre tout, jusqu’au moment où j’ai senti le courant se calmer autour de moi.

     

    Lorsque je les ai rouverts, un morceau de tôle à quelques dizaines de centimètres me piégeait dans la piscine. Heureusement que je m’étais installé dans la fosse de la piscine, sans quoi j’aurais été écrasé…

    Je poussai le morceau de toit qui me bloquait la sortie, mais il refusa de bouger, comme si une pression monstrueuse le maintenait en place.

    Ce serait vraiment, vraiment, VRAIMENT con d’avoir survécu au tsunami et de mourir noyé dans ma piscine !m’énervai-je.

    Mais je me calmai aussitôt. Il ne fallait pas que j’hyperventile : mon rythme cardiaque s’accélèrerait, je consommerais plus d’oxygène et donc je survivrais moins longtemps sous l’eau.

    Pendant quelques minutes, je restai focalisé sur ma respiration.

    Inspiration profonde, expiration profonde.

    Lorsque je fus calme. Je palmai doucement vers un angle de la tôle et tentai de la soulever, sans plus de succès.

    J’enlevai mes palmes, me campai le dos contre le fond de la piscine et donnai des coups de pieds. Rien.

    Bon…

    Je ne voulais pas paniquer, mais j’avais bien conscience que les cuisses étaient les muscles les plus puissants du corps humain, et que si je n’arrivais pas à soulever cette foutue tôle avec les pieds, je n’y arriverais pas plus avec les mains…

     

    Je poussais un bloc pour me déplacer, quand une idée jaillit de mon esprit.

    Je me suis souvenu ce qu’un de nos amis avait raconté une fois à une des soirées « plongée passion » de mes parents.

    Il était moniteur et un jour, dans son club de plongée, un client avait ouvert une bouteille d’oxygène sans faire attention. La pression était tellement forte que le bloc avait traversé le plafond. Depuis, il avait laissé « l’ouverture » sur l’étage pour mettre en garde les plongeurs amateurs…

    Si ça marche, je le retrouve, et je l’embrasse sur la bouche !

    J’avais deux bouteilles, il ne fallait pas que je rate mon coup. Je fondis mon corps autour de la bouteille, puis dirigeai la valve vers le bas.

    Enfin, j’ouvris l’arrivée d’air à fond. Mon corps décolla avec la bouteille. Elle se fracassa contre la tôle. Je forçai avec mes pieds pour accroître la pression contre le morceau de métal. Et il lâcha. Il se souleva doucement : tout ce qui s’était amassé par-dessus glissait sur les côtés. Lorsque la tôle bascula complètement, j’arrêtai l’arrivée d’air de mon bloc.

     

    Un sourire stupide s’inscrivit sur mon visage, malgré le détendeur. Mais mon répit fut de courte durée.

    Mon regard se fixa sur la surface. Elle se trouvait à plusieurs mètres de là. Loin, une vingtaine de mètres peut-être ?

    Mais lorsque la vague fracassait la côte, ne devait-elle pas se retirer ? Pourquoi l’eau restait sur la terre ? Et surtout comment ?

    Je lâchai la bouteille de plongée qui m’avait libéré. Elle retomba à côté de l’autre. Si j’en avais besoin, au moins, je saurais où les trouver…

    Je gonflai mon gilet de plongée. Je n’aurais eu aucune idée de combien de minutes de palier faire, sans mon ordinateur de plongée.

    J’avais obtenu mon niveau 3 de plongée sous marine. Je savais donc que je devais m’arrêter à six ou trois mètres de profondeur pour laisser le temps à mon corps d’évacuer l’azote qui s’était logé dans mon métabolisme…

    Mais, les plongées sous-marines se faisaient au-dessous du niveau de la mer. La Fare les Oliviers devaient être à plus deux cent mètres normalement, pas moins vingt…

     

    J’atteignis finalement la surface. Je rejetai mon détendeur pour ne pas gaspiller mon air et me laissai flotter grâce à mon stabilisateur.

    Je devais être en train de rêver. C’était absolument impossible ! De l’eau à perte de vue : plus de « La Fare les Oliviers ». Ce serait bientôt « La Fare les baleines » !

    Plus de bords de mer, je pouvais regarder d’un côté comme de l’autre, la mer était partout ! Comment était-ce possible ? Il fallait des millions de mètres cubes pour remplir un tel volume d’eau !

    Des débris flottaient à la surface, mais aucun suffisamment grand pour que je puisse monter dessus. Pourtant il me fallait trouver un refuge, car je tomberais tôt ou tard en hypothermie, malgré la combinaison de plongée.

    Sans compter que j’aurais bien bu un ptit verre. Et je n’en pouvais tellement plus que je n’aurais même pas craché sur de l’eau ! Potable, bien sûr…

    Je restai quelques minutes là. Puis finalement, j’aperçus une surface qui reflétait le soleil. Je nageai en direction de la lumière – en espérant que ce ne soit pas la route pour le paradis.

    Mais le reflet disparut. Avais-je rêvé ? N’était-ce qu’une illusion d’optique ou mon esprit qui ne voyait que ce qu’il avait envie de voir ?

    Je continuai dans la même direction. De temps en temps, je plongeais la tête sous la surface pour tenter de me repérer. Mais rien ne ressemble plus à un fond sous-marin qu’un autre fond, surtout quand un tsunami vient d’égaliser le terrain…

     

    Je fronçai les sourcils pour me protéger des reflets du soleil. Oui, c’était bien un morceau de terre qui dépassait de la surface ! C’était l’avantage de vivre dans la colline ! Un morceau de celle-ci triomphait au-dessus de cette vaste étendue d’eau.

    Pris d’un nouvel espoir, je palmai comme un malade en direction de la terre promise. Lorsque je l’eus atteinte, j’attrapai une racine et me hissai sur la roche. Je me séparai de mon gilet et de la bouteille, enlevai mon masque et restai là, pendant quelques minutes. Je laissai le soleil me réchauffer de ses rayons bienveillants.

    Il n’y avait pas énormément de terre. J’en eus vite fait le tour… Il y avait peut-être en tout et pour tout cinquante mètres de terrain en surface. Plus quelques îlots autour, qui composaient autrefois les plus hauts pics de la colline. Les quelques parcelles de terre étaient trempées, et mes pieds s’y enfonçaient. Heureusement, la structure était principalement composée de roches imperméables, qui ne bougeaient pas.

    Je devrais être tranquille un petit moment, me rassurai-je. Le temps que les hélicos de l’armée accourent pour tous nous sauver. Il faut sauver le soldat Thomas !

     

    Vous trouvez peut-être que j’avais l’air d’un gros rigolo frimeur. A sortir une boutade toutes les trente secondes. Mais vous ne pouvez pas vous rendre compte si vous ne l’avez pas vécu.

    L’humour, c’était tout ce qu’il me restait. Je me raccrochais à chaque petit sarcasme, à chaque ironie de la situation.

    J’étais seul. J’ai attendu pendant des heures et des heures, en plein soleil que quelqu’un montre le bout de son nez.

    J’avais oublié l’idée d’être secouru par l’armée. Je voulais simplement voir un autre être humain. Une seule personne. J’étais dans un petit village, certes, mais j’étais à vingt minutes de grosses agglomérations comme Marseille. Alors pourquoi ne voyais-je personne sortir de l’eau ?

    La Fare les Oliviers comptait huit mille habitants ! Alors pourquoi pas un seul n’avait nagé jusqu’à la colline, le point le plus haut du village ?

    Pourquoi ?

    J’étais seul, seul avec mon sens de l’humour. Et on était tous les deux terrifiés…

     

    ***

     

    J’avais passé la journée à traquer un quelconque signe de vie, de tous les côtés de mon minuscule archipel. Sans succès.

    J’avais fini par m’endormir malgré moi. La faim avait fait grogner mon estomac pendant des heures, mais le contrecoup m’avait complètement assommé. Et je ne me réveillai que le lendemain matin, lorsque les premiers rayons frappèrent la surface de l’eau.

    C’était étonnant de voir la luminosité à cinq heures du matin, lorsqu’il n’y avait pas d’immeuble pour étendre leur ombre partout…

    Il fallait que je me bouge. Mon estomac n’allait pas se remplir seul. Je levai les yeux au ciel. Et a priori, l’eau potable n’allait pas non plus tomber du ciel, tout de suite…

    Je me rapprochai de la surface. Mon bloc de plongée avait le cul dans l’eau. Je fronçai les sourcils, je l’avais pourtant bien éloigné du rivage la veille. C’était mon seul atout dans ce nouveau Waterworld…

    Je le tirai pour le mettre au sec. Mais un doute me prit. Je fis le tour de mon petit îlot.

    - Merde, murmurai-je.

    L’eau avait monté.

    Mais bon sang, comment c’est possible ?

    Il devait y avoir une explication rationnelle ! Pour qu’une telle quantité d’eau perdure au-dessus de la surface, il fallait qu’un continent entier se soit retrouvé immergé. Ou bien, que l’ensemble des glaciers du monde ait fondu. Non, même cela ne pouvait pas entraîner une telle montée des eaux…

    Et ça ne se ferait pas en l’espace de quelques heures…réalisai-je avec logique.

     

    Un nuage blanc monstrueux se rapprochait de moi. Je mis la main devant le soleil pour y voir mieux. Ca allait beaucoup trop vite pour être un nuage : il n’y avait pas un poil de vent…

    - Merde, répétai-je pour la deuxième fois depuis mon réveil.

    Des mouettes, des centaines et des centaines de mouettes !

    Des oiseaux, manquait plus que ça ! Ils vont se la jouer à la Hitchcock sur moi…

    Je préparai mon matériel de plongée. Il était hors de question que je reste une heure de plus sur ce rocher – qui soit dit en passant sombrait – pour finir en bouffe à gabians !

     

    Le silence était impressionnant. Il n’y avait pas un seul bruit. Pas de voiture, pas d’avion. Personne pour parler, pas de musique.

    De musique !

    Je descendis la fermeture éclair de ma combinaison de plongée et en sortit la pochette transparente qui contenait mon portable. Je l’extirpai à son tour de sa protection et l’allumai.

    - Yes ! hurlai-je aux mouettes lorsqu’il se mit en route.

    Allez, allez !

    Je touchai le tactile pour appeler ma mère. Mais je reçus un sms de la veille.

    Expéditeur : maman.

    « Ontaime »

    Pas d’apostrophe. Pas de ponctuation. Ecrit à la va-vite.

    Heure d’envoi : 16h20.

     

    Mes jambes lâchèrent. Ma respiration se fit haletante. Sept minutes avant que le tsunami n’arrive en France. Les Etats-Unis avaient été touchés avant.

    Ces informations résonnèrent dans ma tête.

    Ma mère ne dit pas « je t’aime ». Pas depuis que j’ai sept ans, en tous cas…

    Ils étaient dans l’avion ?

    Je tentais de calculer le temps de vol approximatif, le décalage horaire…

    Quel con ! J’aurais dû plus prêter attention à ce qu’elle me disait au téléphone, hier !

     

    Je sortis de mes calculs horaires et décidai d’appeler ma mère.

    Allez, décroche, jt’en prie, décroche !

    - Bonjour, vous êtes bien sur le…
    - Merde ! criai-je.

    Je posai le portable sur le sol pour ne pas l’abîmer et sautai quelques mètres plus loin.

    - Merde ! Putain de merde ! Espèce de saloperie de mer de merde ! Haaaaaa ! hurlai-je comme un psychopathe.

    Je retombai au sol en pleurant. J’étais vidé. Littéralement exempt de toute énergie. Je restai ainsi quelques minutes.

    Non, me dis-je finalement.Mes parents escaladent l’Himalaya, ils vont dans les fosses sous-marines de presque cent mètres. Papa sait voler, ce n’est pas un petit amerrissage qui lui ferait peur, même avec un 747.

    Je me calmai un peu, puis rappelai ma mère. Je laissai un message lui expliquant que j’allais bien. Que j’apprécierais vraiment qu’elle me rappelle, même si elle était en hors forfait, et que j’allais me débrouiller pour les retrouver.

    - Promis, avais-je conclu.

     

    Mon second appel fut pour le samu. Sans réponse, ça ne sonnait même pas. Puis la police. Les pompiers. Julien. La faculté de pharmacie.

    Ce dernier, c’était ridicule, j’admets : ils ne répondent pas en temps normal, je ne vois pas pourquoi ils le feraient après l’apocalypse.

    J’étais à court d’option. J’éteignis le téléphone pour épargner sa batterie. Et je le rangeai soigneusement dans sa pochette.

    Les mouettes se rapprochaient dangereusement. Il fallait que je me secoue, même si la journée ne commençait pas exactement comme je l’aurais souhaité…

     

    ***

     

    Je vérifiais une dernière fois mon matériel de plongée et me rapprochai de l’eau. Je me glissai dans la flotte. Elle n’était pas vraiment froide, mais ce n’était pas non plus un bain bouillonnant.

    Les fonds semblaient avoir changé : il y avait des algues partout. Il était absolument impossible qu’elles aient poussé dans la nuit. J’attribuai donc ce phénomène au courant. La flore aquatique avait dû se faire emporter avec la vague, au même titre que la terre – ou ma maison…

    Je nageais donc en direction de la carcasse de cette dernière lorsque j’entendis un bruit. Lorsque je relevais la tête, le bruit disparaissait.

    L’avantage avec l’eau, c’est qu’elle transmet les sons beaucoup plus que l’air.

    Je plongeai de nouveau les oreilles sous la surface.

    C’était un ronronnement : un moteur !

    Et si je l’entendais mieux sous l’eau, qu’au-dessus, c’était que ce n’était pas un hélico, mais plutôt un bateau !

    Ca me va !

    Je n’allais pas commencer à faire le difficile.

    Je me saisis du sifflet accroché à mon stabilisateur et je me mis à souffler jusqu’à ce que ma tête tourne. Le son se faisait plus insistant, je l’entendais désormais même en surface.

    Je sifflais de plus en plus. Mon corps pompait l’adrénaline de l’espoir qui se diffusait en moi.

    - Ici ! criai-je. A l’aide !

    Je sifflai de plus belle.

     

    Et je l’aperçus au loin. Un petit zodiac rouge qui fonçait sur moi. Je me mis à faire de grands signes avec mes bras. Un rire incontrôlable me prit. Et je sifflais, sifflais, comme si ma vie en dépendait ! Ce qui était probablement le cas…

    Finalement, mon sauveur arriva à ma hauteur.

    - Besoin d’un coup de main ? demanda-t-il en souriant.

    - Je sais pas si je n’attends pas le prochain, plaisantai-je.

    Il n’était pas très grand et avait dépassé la cinquantaine. Il arborait des cheveux noirs mais n’en avaient plus beaucoup et se servait des restants pour camoufler sa calvitie. Il était en surpoids. En temps normal, j’aurais certainement essayé de calculer son indice de masse corporel, parce que c’était un des points de mon cours de nutrition… Et puis je me suis dit qu’insulter mon sauveur n’était probablement pas la meilleure idée…

    Il coupa son moteur et attrapa mon bloc de plongée. Lorsqu’il l’eut tracté à bord, il me tendit une main et m’aida à monter dans le zodiac.

     

    - C’est cool, tu as du matériel de plongée, ça va nous aider… me dit-il.

    - C’est celui de mes parents.

    Il me tendit de nouveau sa main que je serrai énergiquement.

    - Ed Galuen, se présenta-t-il.

    - Thomas. C’est ton bateau ?

    Il acquiesça.

    - Je pêchais lorsque c’est arrivé… Je cherche des survivants depuis…

    Il baissa la tête et se gratta la joue.

    - J’ai trouvé personne…

    J’acquiesçai maladroitement, je ne voulais absolument pas penser à ce genre de choses.

    - Tu as de l’eau ? demandai-je en oubliant complètement toute forme de politesse.

    Il me tendit une bouteille d’eau en plastique, à moitié entamée.

    - N’en prends pas trop, il va falloir qu’on tienne avec ça… rappela-t-il.

    Je tentai de tempérer ma soif, il n’empêche que je pris trois rasades monstrueuses. Il me retira la bouteille des mains. Je pouvais difficilement le blâmer…

     

    - Enfile ça, me conseilla-t-il en tendant un gilet de sauvetage orange.

    Je le passai autour de mon cou. Une inscription au feutre noir indiquait « Patrick Saurat » sur le bord du gilet.

    Je fronçai les sourcils mais passai vite à autre chose. Je n’allais pas me mettre à questionner les choix de tout un chacun. Sûrement qu’Ed aussi avait perdu des gens auquel il tenait…

    - Ma maison n’est pas loin, indiquai-je. Je pourrais y retourner, nous ramener des bouteilles d’eau, peut-être des conserves ?

    Un sourire se dessina sur son visage, il acquiesça.

    - Tu veux tenir la barre ? me proposa-t-il.

    Je refusai gentiment. Je l’avais fait plusieurs fois avec mes parents, mais ce n’était pas le moment de faire des expériences. On n’avait qu’un bateau et j’étais bien foutu de le faire couler…

    Je lui indiquai la direction, plongeant parfois le visage sous l’eau avec mon masque, pour tenter de me repérer. Finalement, je reconnus mon allée avec le grand portail noir qui la terminait.

    - On y est, dis-je en relevant la tête.

    Il coupa le moteur et jeta l’ancre.

     

    Lorsque je fus près, il leva son pouce vers moi.

    - Ne pars pas pendant que je suis en bas ! lançai-je en ne plaisantant qu’à moitié.

    Je plongeai avec un bout accroché à ma taille et un grand sac autour du bras. J’en profiterai ainsi pour remonter les deux bouteilles de plongée qui pourraient nous aider dans le futur à récolter d’autres vivres.

    Mon manomètre indiquait 120. Il me restait peut-être quarante-cinq minutes d’autonomie : je n’avais jamais beaucoup consommé d’air en plongeant. Mon ordinateur me donna la profondeur. Il y avait dix-huit mètres d’eau au-dessus de moi.

    J’étais pas loin, réalisai-je.

    J’accrochai la corde que j’avais descendue aux deux bouteilles de plongée et tirai trois coups secs pour qu’Ed les remonte. Je les vis s’élever progressivement.

    Ca, c’est fait !

    Puis je me dirigeai vers ma maison. Le toit avait complètement disparu. Les bords de la façade étaient en dents de scie. La vague avait vraiment fait des ravages…

    Mais au moins, la luminosité dans la maison n’était pas trop mauvaise, même à cette profondeur.

    J’entrai par un mur éventré. Une ombre vint cacher le soleil quelques instants. Le vent avait dû se lever et bouger des nuages… Ce n’était pas une mauvaise chose, on aurait peut-être de la pluie.

    Je pénétrai dans mon ancien salon. Une ombre passa dans le sens opposé. Je me retournai immédiatement.

    C’était quoi cette blague ? Le vent ne change pas de sens comme ça.

    Je cherchais des yeux le zodiac. Il ne pouvait pas m’avoir laissé ! Finalement mon esprit paranoïaque se calma lorsque j’aperçus la coque du bateau. Je me calmai et commençai à fouiller à travers les placards. Je fourrai quelques boites dans mon sac. J’ouvris le frigo et récupérai deux bouteilles d’eau et une de soda – pour une occasion spéciale !

     

    Je traversai le garde manger et ouvrit les grands placards.

    Voilà la mine d’or !

    Je chargeai autant que possible mon sac. Il serait toujours temps de redescendre, mais l’oxygène n’était pas illimité. Je jetai un coup d’œil à mon manomètre : 80. Il ne fallait pas que je tarde trop, surtout que j’allais probablement être coincé quelques minutes au palier…

    J’allais refermer le placard, quand quelque chose me frôla l’épaule. Je sursautai et envoyai un coup dans ce qui m’avait touché.

    Je faillis pousser un cri. C’était Flip, mon chien. Il était mort noyé et se voyait contraint d’errer entre deux eaux, coincé dans cette bâtisse.

    Une nouvelle fois, je sentis mon pouls s’accélérer.

    Dans les films, je me fichais toujours de voir le héros torturé ou massacré, mais son animal de compagnie ne pouvait pas mourir ! C’était inhumain ! Ca n’arrivait d’ailleurs jamais, il n’y avait que dans Alien 3 où le pauvre Rottweiler se faisait exploser de l’intérieur par l’extraterrestre démoniaque !

    Ca devenait trop réel, je n’arrivais plus à contrôler ma respiration, pourtant mon regard restait rivé sur Flip.

    Je palmai comme un malade jusqu’à la surface et frappai ma tête contre le plafond du garde manger. Par réflexe, je rejetai mon détenteur et mon masque, et je me mis à pleurer.

     

    Au bout de quelques secondes, je réalisai que je n’étouffais pas. Pendant le big T, une poche d’air avait été faite prisonnière entre le haut des portes et le plafond. J’avais quelques minutes d’oxygène, tout au plus.

    Mais je ne pouvais pas bouger. Je savais que si je repassais la tête sous la surface, je le verrais. Immobile, pour toujours.

    Tout prenait une tournure trop horrible. Ce n’était pas un rêve. On n’était pas dans « Le jour d’après » et les choses n’allaient pas s’arranger. Les gens que j’avais aimés avaient disparu. La plupart pour toujours.

    J’avais connu Flip alors qu’il avait un peu plus d’un mois. J’étais en 6ème, cela faisait plus de dix ans. Mes parents et moi étions allés chez des amis qui venaient d’avoir une portée. Et nous étions repartis avec lui.

    Nous avions passé ma première année en pharmacie à se partager le canapé : moi qui révisais, lui qui… hum, occupait ses journées à dormir.

    C’était moi qui le gardais quand mes parents partaient en voyage et il dormait dans le fauteuil collé à mon lit.

    Et parfois, lorsqu’il y avait de l’orage, je le laissais grimper sur ma couette.

    C’était mon ami. Et il était mort.

     

    Je pris quelques secondes puis je me préparai. Je fermai les yeux dans mon masque. Je devais avoir l’air ridicule à dix huit mètres de profondeur, les yeux fermés. Mais il n’y avait personne pour se moquer de moi, de toute façon.

    A tâtons, je récupérai le sac de vivre que j’avais laissé tomber sur le sol. Lorsqu’une masse vint me toucher, je l’écartai avec délicatesse et je trouvai mon chemin vers la porte.

    J’ouvris enfin les yeux et quittai ma maison. C’était la dernière fois, je le savais. Il était hors de question que j’y retourne. Je trouverais d’autres endroits où débusquer de la nourriture. Mais je ne remettrais plus jamais les pieds ici. Ce n’était plus chez moi. La nature avait repris ses droits…

     

    ***

     

    Je remontai donc à la surface. Lorsque je sortis la tête de l’eau, Ed me lança :

    - Tu es resté bien longtemps, j’ai eu peur.

    - Un contretemps, marmonnai-je.

    Je lui tendis ma bouteille de plongée et mon masque. Puis d’un grand coup de palmes, je me hissai dans le zodiac.

    Mais j’avais dû surestimer mes forces parce que ma tête frappa pratiquement le fond du bateau. Je poussai ce qui traînait pour me faire de la place. Et, en écartant un sac, je découvris une pagaie.

    Une substance gluante coulait du bout de bois. Je retirai mes palmes et touchai de l’extrémité du doigt le liquide.

    Il était rouge. Mes sourcils se froncèrent. Je sentis une forme immobile dans mon dos et un frisson me parcourut. Je rapprochai la substance de mon nez, elle avait une odeur métallique.

    Je déglutis difficilement.

     

    Mon esprit tournait à mille à l’heure. Sans que je puisse y faire quoi que ce soit, une scène se jouait dans ma tête. Une histoire qui expliquait que le nom sur les gilets de sauvetage soit « Patrick Saurat » et non « Ed Galuen ». Qui expliquait le sang sur la pagaie… Et le silence derrière moi.

    Patrick Saurat devait être un marin. Ou il avait simplement sorti son bateau pour faire un tour, sans se douter qu’il serait plus en sûreté sur l’eau que sur terre pendant le tsunami. Lorsque la vague était passée, il avait cherché des survivants. Puis il avait trouvé Ed, il l’avait laissé monter dans son zodiac et lui avait offert de l’eau et des vivres.

    - Il faudra les économiser, avait-il dû dire.

    Et l’esprit d’Ed avait certainement pensé : « il y en aurait plus pour moi si j’étais seul… ».

    Il avait dû attendre que son sauveur ne tente de démarrer le zodiac, lui offrant son dos. Ed avait ramassé une pagaie, et avait donné un coup magistral à la tempe de sa victime. L’homme avait dû perdre connaissance, sa blessure avait tâché le morceau de bois.

    Son agresseur avait traîné le corps sur le boudin du zodiac, et l’avait balancé à l’eau sans vergogne.

     

    Je n’osais plus respirer, ni même me retourner.

    - J’aurais préféré que tu ne vois pas ça… dit une voix froide derrière moi.

    Je me redressai enfin et fit face à Ed. Il tenait une pagaie dans sa main. Mon regard se fit accusateur.

    - Tu ne veux pas faire ça, assurai-je avec une confiance que je n’avais pas.

    Il eut un sourire mauvais et son œil exprima un tic compulsif.

    - Je l’ai déjà fait une fois, alors…

    Il balança sa pagaie sur moi, visant ma tête. J’esquivai. Il perdit l’équilibre. J’en profitai pour attraper à mon tour sa pagaie et la poussai contre lui. Son visage se contracta, il n’avait pas pensé pouvoir rater son coup.

    Hé oui, gros lard, je suis sportif !

    J’avais le dessus : avec presque une trentaine d’années de moins que lui et une carrure athlétique, il ne faisait pas le poids. Il penchait dangereusement en arrière, il jeta un coup d’œil derrière lui. Je profitai de son inattention et lui administrai un magistral coup de tête, dont Zizou même aurait été fier.

    Il lâcha la pagaie, d’un revers je lui expédiai le bout de bois dans son gros bide. Il bascula par-dessus bord.

     

    Au bout de quelques secondes, son gilet de sauvetage le remonta à la surface. Il cracha l’eau qu’il avait avalée.

    - On peut s’arranger, cracha-t-il. Excuse-moi, j’ai eu peur ! Mais on est seuls, on doit se serrait les coudes !

    Mon visage laissait paraître mon dégoût. Je ne lui faisais pas confiance. Pas une seule seconde. Ed était un monstre, un démon. Une créature répugnante qui ne méritait pas de porter la qualification d’être humain.

    Mais si je le laissais là, je le condamnais à mourir. Si je faisais ça, je ne pourrais plus vivre avec cette culpabilité.

    C’était stupide, j’en étais pleinement conscient. J’avais toute confiance dans le fait qu’il tente à nouveau de se débarrasser de moi. Mais j’avais été élevé dans le respect de la vie, quelle qu’elle fût…

     

    Je tendis une main vers lui. Il l’attrapa.

    Je m’apprêtais à tirer. Pendant une fraction de seconde, son regard traduisit la terreur. Une forme noire énorme était sous lui.

    L’instant d’après je vis un monstre émerger sous Ed. La gueule énorme de l’animal entoura complètement l’homme. Ed poussa un cri.


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    Résumé :

    Louka, médecin très introverti depuis la mort de ses parents compte ses relations passées sur les doigts de la main… Matt, son meilleur ami bourré de cynisme et peu versé dans la modestie trempe dans un alcoolisme héréditaire… Dans une existence parallèle à la notre, une bataille se joue depuis la nuit des temps entre Anges et Démons. Cet affrontement reste un secret, jusqu’au jour où ces deux races traînent leurs conflits sur Terre. La vie courante est suffisamment compliquée pour les deux colocataires Humains sans que des pouvoirs surnaturels ne viennent entacher leur quotidien ! Pourtant, cette guerre pourrait bien changer leur destin et leur relation… Pour toujours.

     

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    Chapitre

    Ou en me contactant directement à : jake.berenson@free.fr

     

    Extrait :

    01

     

    - Nos informations indiquent ces coordonnées, affirma l’ange.

    Son acolyte hocha la tête en guise de réponse.

    - Pourquoi revenir ici ? demanda Darnyal.   

    Ca, j’aimerais bien le savoir, pensa Lazarus.

    Il écarta ses grandes ailes blanches et décolla de quelques centimètres. Ses courts cheveux blonds faisaient ressortir ses grands yeux bleus… Comme tous les anges.

    En effet, Darnyal aurait pu être son frère jumeau. A l’exception de sa coupe de cheveux et de quelques traits du visage différents, ils demeuraient très similaires.

    Leurs formes et lignes du visage étaient anguleuses et leur teint très pâle. Ils n’étaient vêtus que d’un pantalon en toile couleur crème et arboraient tous deux un torse imberbe et musclé.

    Pourquoi s’encombreraient-ils de chaussures quand une paire d’ailes de près de deux mètres d’envergure ornait leur dos ?

     

    Lazarus s’éleva un peu plus et regarda autour de lui.

    Ils se trouvaient à l’orée d’une petite clairière, à la bordure de la ville. Quelques kilomètres les séparaient de la civilisation. On aurait même pu l’oublier si ce n’était pour le haut des buildings qui se hissaient, triomphants au-dessus des arbres.

    Les branches des grands chênes se balançaient doucement dans le vent.

    Le calme avant la tempête…

     

    - Ils arrivent, remarqua Lazarus.

    Leurs deux regards se fixèrent sur un petit point lumineux à quelques mètres au-dessus de la terre ferme.

    L’étoile dorée apparue dans le ciel créa une ligne scintillante dans l’espace. Lorsqu’elle fut longue de presque trois mètres, elle se déchira en un cercle. Les bords demeuraient brillants, mais à l’intérieur du cercle, on discernait maintenant des formes sur un fond ténébreux.

    L’autre côté…

    Un être difforme bondit de l’ouverture.

    Sa peau était écailleuse et avait une teinte vert-marron, comme celle d’un crocodile, ou d’un alligator. On aurait dit que ses ailes étaient en toile, bien que granuleuses. Le démon les écarta pour se maintenir dans les airs. Ses pattes griffues pendaient piteusement. Son visage était effrayant : deux yeux rouges malsains, une gueule avec bien trop de dents pour être humaine… et deux cornes, prêtes à empaler l’ennemi.

     

    Le démon scruta les environs, à la recherche d’une menace éventuelle. Mais il fut incapable de déceler les anges derrière leur camouflage. En glissant sur leur peau, la lumière les rendait invisibles… tant qu’ils demeuraient immobiles.

    Un seul ? Pas besoin de renfort, on peut s’en occuper seuls…assura Darnyal à son allié par la pensée.

    Mais alors que Lazarus s’apprêtait à clamer la prudence. Le démon se tourna vers le cercle et lança de sa voix gutturale :

    - La voie est libre : aucun humain.

    Quatre démons sortirent, tour à tour, du passage circulaire. Lorsqu’ils eurent terminé, le dernier se retourna. D’un geste de la main, il fit disparaître l’ouverture : le cercle brillant s’écrasa pour former une fine ligne dans le ciel, qui sembla se cicatriser en s’effaçant.

     

    Va le chercher !ordonna Lazarus.

    Darnyal s’élança dans le ciel, perdant par la même occasion sa couverture invisible. Les quatre têtes monstrueuses se braquèrent sur lui. Ils bondirent en même temps.

    Lazarus s’interposa et écarta ses bras pour leur barrer la route.

    - Il va falloir me passer sur le corps en premier, annonça-t-il.

    - Avec plaisir, répondit le chef de la bande de démons.

     

    Dans sa main droite, l’ange tenait son Darshi. L’arme était simple : un cylindre de vingt centimètres de long.

    L’objet était argenté et métallique, aux commandes de son maître, il se transforma. Il prit quelques centimètres en longueur et se structura pour former un pommeau. Une lame étincelante naquit du manche.

    Lazarus tendit son épée de type médiéval en direction de ses ennemis. D’un coup d’œil, il aperçut Darnyal créer un passage vers l’autre côté avec son propre Darshi.

    Chacun des démons dégaina une arme similaire. Elles prirent toutes la forme d’un poignard. 

     

    Dotés d’une force surhumaine, les démons se spécialisaient dans le corps à corps, et préféraient se battre proches de leurs ennemis.

    Les Darshi avaient pris la forme de petits poignards : une quinzaine de centimètres de manche pour un petit peu plus de lame. Cette dernière était arquée et recourbée sur le côté intérieur en un crochet pour mieux déchirer les viscères.

     

    L’ange se prépara alors que les quatre monstres se positionnaient à ses points cardinaux. Le plus gros démon était derrière lui. Sur son côté droit, la bête n’avait qu’une corne, elle avait dû perdre l’autre dans un précédent combat. Le démon à la gauche de Lazarus avait une cicatrice immonde qui partait de sa hanche pour finir au niveau de la clavicule opposée. Enfin, il avait l’éclaireur en face de lui : celui qui avait franchi le premier la frontière.

    Le combat était imminent.

    Lazarus le savait : s’il les laissait s’approcher plus, il se retrouverait à leur merci.

    Il envoya sa main en avant, le premier fut propulsé et perdit l’équilibre. L’ange se jeta vers lui et dégaina son épée. Il la planta dans la tête du monstre.

    Un de moins.

    De ses pieds, il prit appui sur la carcasse et libéra son arme. Conservant son élan, il s’élança plus haut dans le ciel. Il était plus rapide que les monstres, à ce niveau, leur poids jouait contre eux…

     

    Il avait profité de la surprise des démons pour en abattre un, mais il était peu probable qu’il puisse réitérer la chose. Désormais il devait gagner du temps… Survivre.

    Lazarus baissa les yeux, mais il ne vit qu’un monstre à ses trousses. Il fronça ses sourcils blonds : où étaient passés les deux autres ? Il ne devait pas les perdre de vue, il fallait à tout prix qu’il découvre la raison de leur apparition sur Terre. Et quelque soit leur but : l’empêcher.

    L’ange releva la tête. Mais trop tard, un coup de fourreau lui tomba sur le crane. Le démon à une corne avait frappé de toute sa force. Lazarus sentit le choc résonner dans tout son corps. Il ne put plus supporter son propre poids et fut précipité vers le sol.

     

    Il allait croiser le plus gros. Il devait se ressaisir, car le monstre avait déjà préparé sa lame. Lazarus fit pivoter son corps, ramenant son bras armé près de son torse, puis lança un coup d’épée sur le démon. Ce dernier eut un mouvement de recul. L’épée avait entamé la chair, mais de façon superficielle. Du sang noir suinta légèrement de la plaie.

    Les écailles des démons formaient une véritable armure.

    L’ange fléchit pour se récupérer sur le sol, sans mal. En un coup d’œil, il aperçut les trois monstres qui se précipitaient sur lui.

    Lazarus planta sa lame dans le sol. Son épée ne pourrait pas l’aider contre trois adversaires en même temps. Il mit ses mains en coupe.

    Les démons avaient beau avoir une force et une résistance extraordinaires, ils ne possédaient pratiquement aucun pouvoir psychique. Au contraire des anges…

    La lumière du soleil se concentra entre les mains de Lazarus. Et comme sur de la neige, une réverbération naquit de ses paumes pour éblouir les monstres.

     

    Les démons furent stoppés dans leur descente en piqué. De leurs mains griffues, ils protégèrent leurs yeux adaptés à l’obscurité.

    Lazarus récupéra son épée et bondit vers les arbres. Il volait à couvert, tentant de se cacher au travers des branches feuillues.

    Il s’arrêta et s’immobilisa derrière un arbre. Lorsqu’il se tint immobile, il vit sa peau briller légèrement et sut qu’il avait disparu aux yeux des autres.

    Il ne pouvait plus qu’espérer que les monstres ne s’approcheraient pas trop près, car leur odorat suffirait à déceler sa présence…

     

    Lazarus vit Cicatrice contourner son arbre par la droite. Quelques secondes plus tard, celui avec la corne émergea du côté gauche.

    Presse-toi Darnyal, supplia silencieusement l’ange.

    Il vit les naseaux des démons frémir. Avaient-ils senti son odeur ?

    Les deux démons se trouvaient de dos. Lazarus ne vit jamais leur sourire carnassier s’inscrire sur leur visage.

    Soudain, ils se retournèrent et hissèrent leur poignard.

    - Haaaaaa ! hurla l’ange de douleur, redevenant visible.

    Un rictus de satisfaction s’afficha sur le visage horrible de Cicatrice.

    - Azariel, on le tient, annonça-t-il.

     

    Lazarus était pris au piège. Un poignard était figé dans chacune de ses ailes, les traversant pour le clouer littéralement à l’énorme tronc.

    Le plus gros démon tomba du ciel et se retrouva face à l’ange. Un sang argenté coulait à profusion des ailes de Lazarus.

    - Pourquoi étiez-vous là et où est allé ton ami ? demanda Azariel.

    L’ange toisa le monstre de ses yeux, d’un bleu glacial. Un air de mépris inscrit sur le visage.

    Le démon émit un rire qui ressemblait à un « huk, huk », on aurait dit les cris d’un cochon sauvage.

    Il dégaina son poignard et émit une légère coupure au niveau des abdominaux de son ennemi. Il nettoya précautionneusement la lame contre l’herbe, sur le sol. Puis il la porte contre la blessure que lui avait infligée Lazarus un peu plus tôt. La lame se couvrit de sang noir.

    - Tu sais qu’il se passe des phénomènes pour le moins… étranges, souvent douloureux lorsque nos sangs entrent en contact, rappela Azariel.

     

    L’ange ne put retenir un hoquet d’effroi. Ses yeux témoignaient maintenant de la peur. Il n’allait pas simplement mourir, il subirait d’abord une torture terrible.

    Alors que le sang des anges avait des propriétés curatives, celui des démons était réputé pour ses douloureuses conséquences…

    - Parle, intima Azariel, c’est mon seul avertissement, si tu insistes dans ta folie, tu seras rejeté des tiens, tu le sais.

    La mâchoire de l’ange se contracta. Le sort atroce qui l’attendait, non, il préférait la mort. Mais il ne pouvait pas trahir les siens…

    Il releva la tête pour affronter son ennemi.

    - Rien ne fait plier les anges, annonça-t-il d’une voix ferme.

    D’un geste vif, Azariel balaya la plaie de l’ange avec le plat de sa lame. Une fumée noire s’échappa de la blessure et le « pshhh » fut étouffé par les cris effroyables de Lazarus.

    Tous ses muscles se contractèrent malgré lui, accroissant la douleur qu’il éprouvait dans ses ailes. Ses yeux perdirent leur couleur, ils devinrent entièrement noirs pendant un instant, puis reprirent leur aspect normal.

     

    Le corps anciennement parfait de l’ange s’était dégradé. Il avait perdu son éclat et son halo brillant. La peau de Lazarus était terne, ses cheveux semblaient gras et viraient pratiquement au châtain. Ses yeux étaient redevenus bleus, certes, mais il n’y avait plus rien de lumineux dans son regard, on ne pouvait plus y lire que le désespoir.

    - Tout est fini pour toi, tu le sais, reconnut Azariel en brandissant son Darshi. Mais je peux faire durer ton cauchemar très longtemps.

    Jamais je ne tiendrai, réalisa Lazarus.

     

    Une lumière jaillit de nulle part et éclaira les quatre êtres. Leur vision mit un moment avant de s’accommoder. Mais lorsqu’ils purent distinguer la silhouette dont émanait cette lumière, ce fut au tour des visages des démons d’exprimer la terreur.

    - Gabriel, glapit Cicatrice.

    Derrière lui, Lazarus aperçut Darnyal. Son allié avait réussi… juste un peu trop tard pour lui.

    L’archange était bien plus grand que ses camarades, ses cheveux d’un blond doré atteignaient presque ses épaules. Il faisait le double de Darnyal en largeur, qui n’était pourtant pas lui-même un ange frêle…

     

    En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, Cicatrice et Unicorne se saisirent de leur poignard. Lazarus tomba au sol, incapable de tenir sur ses deux jambes. Ses ailes se replièrent en cocon autour de son corps.

    Azariel fila en profondeur dans la forêt.

    De sa poche, Gabriel sortir son Darshi. Le cylindre se mit à s’allonger. Il ne semblait pas s’arrêter. Finalement, de son extrémité supérieure s’échappa une lame longue et recourbée.

    La faux de l’archange Gabriel, se dit Unicorne, aucun démon n’a jamais pu en réchapper…

    - Poursuis Azariel, ordonna l’archange à Darnyal par la pensée.

    L’ange s’exécuta, il s’élança dans les airs pour tenter de retrouver le dernier monstre.

     

    Unicorne et Cicatrice se jetèrent sur Gabriel. Ce dernier tournoya sur lui-même, échappant gracieusement à la double attaque. Il se trouvait maintenant derrière ses agresseurs. De sa paume gauche, un arc électrique jaillit pour frapper Unicorne. Ce dernier tomba sur le sol, sa peau crépitait, mais il n’était pas mort.

    Cicatrice lança de nouveau une attaque. D’un coup de ses ailes immenses, Gabriel recula de plusieurs mètres. Il brandit sa faux comme on tire une épée d’un fourreau et trancha le démon en deux. Suivant la marque de son ancienne cicatrice, les deux parties du monstre glissèrent l’une contre l’autre, avant que toutes deux ne retombent bruyamment sur le sol.

    L’archange atterrit doucement devant Unicorne, toujours à quatre pattes dans l’herbe.

    - Pourquoi étiez-vous là ? demanda-t-il de sa voix grave.

    - Héhé, va au diable, ricana Unicorne, c’est un copain.

    Il prit son propre poignard et se l’enfonça dans le torse.

    Plutôt mourir que d’aider un ange…fut sa dernière pensée.

    Gabriel hissa sa faux et trancha la tête du cadavre. Puis la faux se rétracta et le Darshi reprit son apparence la plus simple.

     

    Darnyal arriva par derrière, il posa sa main sur l’épaule de son allié, pour indiquer sa présence.

    - Il s’est enfui. Mais j’ai retrouvé son Darshi, annonça-t-il.

    Il présenta à Gabriel le poignard immaculé. L’archange s’en saisit et déclara :

    - Il est donc bloqué sur Terre, je vais me charger de le traquer et de le tuer. Occupe-toi de faire disparaitre toutes les traces de nos passages. Rien ne doit persister.

    Darnyal acquiesça. Il se dirigea vers la dépouille du premier démon. Il tendit sa main vers la carcasse, lorsque la lumière qu’il émit mourut, il ne restait rien. Ni corps, ni végétation, on aurait même dit que la terre elle-même avait été brûlée.

    Il réitéra l’opération où les autres monstres avaient péri, et où du sang d’ange ou de démon avait été versé.

     

    Gabriel s’approcha de Lazarus, mais il ne put se résoudre à lui tendre la main pour le relever. Il décida finalement de s’accroupir devant lui.

    - Je suis désolé, murmura l’ange, incapable de projeter ses pensées.

    - Azariel est bloqué dans ce monde, quoi qu’il soit venu faire, sa tentative a échoué. Tu as rempli ta mission avec courage. Il est temps de rentrer à la maison, fit-il d’une voix qui sonnait faux.

    L’ange écarta légèrement ses ailes. Des veines étaient désormais apparentes sur sa peau. Et elles le resteraient tout le long de sa vie. Il vivrait sous cette forme pour toujours.

    - Archange Gabriel, vous connaissez le sort réservé aux anges déchus. Je ne serai plus jamais ce que j’ai été. L’isolation, pour l’éternité… Le mépris.

    - Ne dis pas n’imp…

    - Arrêtez ! rugit Lazarus avec l’énergie qui lui restait.

    Gabriel ne réagit pas à l’insubordination.

    - Regardez, dis Lazarus, votre pitié l’emporte sur tout autre sentiment, vous ne me traitez même plus comme un ange qui vous doit le respect.

    Il se releva à moitié et posa volontairement un genou à terre.

    - Accordez-moi l’honneur qui me revient, demanda-t-il avec toute sa fierté.

    Il fixa l’archange de ses yeux presque humains. Gabriel n’osait même pas croiser son regard. Il baissa la tête et acquiesça finalement.

    L’archange se recula de quelques pas et se saisit de son Darshi. La faux se reforma dans sa main. Gabriel se recula encore un peu, pour être sûr de ne pas toucher physiquement son allié de sa lame.

    Il la dégaina finalement et trancha l’air de sa lame brillante. Une décharge de lumière explosa, et le corps de Lazarus s’évanouit en une pluie d’étoiles.

    - Adieu.

     

    02

     

    La chaine stéréo se mit en route dans la chambre silencieuse.

    Les mots du « Grand sommeil » d’Etienne Daho se mirent à résonner entre les quatre murs, tirant doucement Louka de son propre sommeil.

    « Je ne peux plus me réveiller, rien à faire… »

    Tu l’as dis…

    L’homme s’assit dans son lit et commença à balancer sa tête en rythme pour se réveiller. Il flanqua ses pieds dans ses chaussons et se leva. Convaincu qu’une fois de plus son colocataire n’était pas rentré la nuit précédente, il augmenta le volume.

     

    Il se rendit dans la salle de bain, en face de sa chambre et se brossa les dents en effectuant quelques pas de danse. Il se saisit de son rasoir électrique et effaça sa barbe naissante. Ses cheveux blonds mi longs étaient en bataille, il passa la tête sous la douche et les mouilla. Puis il les arrangea en une coiffure impeccable de premier de la classe.

    Enfin, il sourit à son reflet et traversa le couloir. La porte de la chambre de Matt était ouverte, le lit était fait : Louka avait bien été seul cette nuit dans l’appartement.

    Il franchit les derniers mètres de couloir qui le conduisirent au salon. La cuisine américaine faisait l’angle avec un bar qui arrivait à mi hauteur. Au milieu de la pièce, un canapé faisait face à un écran géant. Entre les deux, une petite table basse en verre où les deux amis prenaient leur diner quand ils voulaient regarder un film.

    Le jeune homme ouvrit le placard au-dessus de sa tête. A l’intérieur régnait un ordre obsessionnel. Des boites de Bounty étaient alignées les unes sur les autres. Louka prit soin d’ouvrir une nouvelle boite, il en sortit une barre qu’il posa sur le bar, et rangea méticuleusement les autres à leur place.

     

    Il saisit la barre chocolatée, et retourna dans sa chambre. Il tronqua son pyjama contre un jean et un simple t-shirt.

    De toute façon, arrivé à l’hôpital, je devrai me changer de nouveau…

    Il attrapa négligemment son sac, ajusta la lanière autour de son cou et éteignit la chaîne stéréo. Il traversa le couloir, attrapa ses clés dans un bol sur la petite table et ouvrit la porte d’entrée à la volée.

    Une masse appuyée sur la porte tomba sur le sol dans un bruit étouffé.

    Louka hocha la tête en guise de désapprobation. Il souleva le manteau qui couvrait l’énergumène.

    - Bien sûr, marmonna-t-il.

     

    Matt avait passé la nuit contre la porte. Il n’avait même pas été capable de rentrer dans l’appartement.

    Louka jeta un coup d’œil à l’horloge de la cuisine.

    Ouais, je vais encore être en retard…

    Il saisit son ami au niveau des aisselles, et se débrouilla pour le porter – ou plutôt le traîner – jusqu’au canapé. Il le mit sur le côté et passa un plaid sur son dos.

    Un jeton tomba sur le sol. Il s’était échappé de la poche de Matt. Louka scruta l’objet un instant. Puis il le fourra dans sa poche.

    Dans la cuisine, il mit la cafetière en marche.

    Il ne put s’empêcher de jeter un nouveau regard à l’heure, bien qu’une seule minute soit passée. Finalement, la cafetière siffla. Il en servit une grande tasse. Il la posa sur la table basse, après s’être assuré de la présence d’un dessous de verre.

    Il prit soin de vérifier l’état de son ami. Mais à part une haleine bien éthylique et un bleu sur le front – qu’il s’était certainement fait la veille dans le couloir – il allait bien.

     

    - Matt ! fit son ami en le secouant doucement.

    Les yeux du jeune homme papillonnèrent et il émit un grognement en guise de réponse.

    - Je dois y aller Matt, je t’ai servi du café sur la table. Et la cafetière est pleine, si tu as besoin. Tu commences à 14 heures cet après-midi. Tu devrais te réveiller, tu ne peux pas te permettre de perdre un nouveau job.

    L’endormi repoussa Louka en gazouillant des paroles inintelligibles.

    Le médecin se releva. Il se mordit les lèvres et prit la direction de la sortie.

    J’ai fait ce que je pouvais, s’assura-t-il avec une pointe de culpabilité.

    Dans le métro, son esprit était toujours à la maison. Son ami allait mal. C’était la folie à l’hôpital. Rien ne s’arrangeait.

    « J’aimerais que cette nuit, dure toute la vie », se rappela-t-il en citant son chanteur préféré.

     

    ***

     

    Il traversa enfin l’entrée de l’hôpital, fit biper son badge pour ouvrir les portes de sécurité et pénétra dans l’antre de la folie d’infirmières et de patients.

    Il se rendit au vestiaire et se changea en quatrième vitesse, quand il fut fin prêt en pyjama bleu et veste blanche à son nom, il commença sa ronde.

     

    Une doctoresse blonde surgit d’un couloir opposé.

    - Louka ! apostropha-t-elle.

    Toujours de dos, le jeune homme fronça les sourcils.

    Elle m’appelle par mon prénom maintenant ?

    Il se retourna finalement pour faire face à son chef.

    - Docteur Marce, bonjour.

    Elle lui fit un sourire en gonflant sa poitrine généreuse et tapa sur le bras du blond. Mais elle ne retira pas sa main immédiatement et sembla tâter son biceps quelques secondes. Ce ne fut que lorsque Louka recula d’un pas qu’elle le lâcha.

    - Je t’en prie, appelle-moi Mylène.

    Il sourit poliment mais ne répondit rien. Matt l’avait prévenu qu’elle flirtait avec lui depuis des mois. Il lui avait conseillé de « tirer son coup et de passer à autre chose », mais le médecin avait été outré. Il n’avait aucune envie de sortir avec elle, ce n’était pas du tout son genre…

     

    - Encore en retard ce matin, à ce que je vois, fit-elle d’un ton faussement réprobateur. Il va falloir trouver un moyen pour… compenser tout ça…

    Elle leva un sourcil, laissant l’esprit du jeune homme imaginer comment il était censé « compenser tout ça ».

    Et on dit que le harcèlement sexuel ne va que dans un sens…

    - Je suis désolé, je rattraperai mes heures, assura Louka.

    Il n’eut pas la mauvaise foi d’assurer que cela ne se reproduirait pas. Il savait très bien qu’étant donné l’état actuel de Matt, c’était susceptible d’arriver tous les soirs…

     

    Il lui tourna le dos et gagna la première chambre à côté.

    - Bonjour, lança-t-il à son patient.

    Ce dernier grogna, en guise de réponse.

    Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ce matin ?

    Il l’ausculta et continua sa ronde, finalement il arriva à sa patiente préférée : Mandy Darcy. Alors qu’il avait un problème de communication avec les gens en général, son contact avec les enfants était très bon. Il se demandait même s’il ne devait pas s’orienter vers la pédiatrie.

    - Bonjour Mandy ! fit-il avec toute la bonne humeur qu’il put regrouper.

    - Bonjour docteur, répondit-elle avec une joie non feinte. Tu vas bien ?

    Louka acquiesça en lui souriant.

    Elle sauta de sous les couvertures et s’installa sur le bord du lit, faisant balancer ses deux nattes blondes, sur le côté de sa tête. Le médecin lui avait répété de ne pas faire ça avec sa perfusion, mais elle semblait toujours excitée de le voir…

    Ses parents se trouvaient également dans la pièce. Le père avait été agressif avec Louka depuis l’hospitalisation de sa fille. Elle était entrée dans l’attente d’une greffe plusieurs semaines plus tôt. L’opération était maintenant imminente, ce qui réjouissait énormément la fillette. Elle semblait même avoir oublié la poche à dialyse qui la suivait partout…

    Son père, par contre, certainement anxieux, s’était montré de plus en plus désagréable. La mère quant à elle se contentait de hocher la tête à chaque commentaire de son mari.

     

    - Docteur, j’ai senti un ganglion dans son cou. Et j’ai vu sur internet que… commença le père.

    Alors, s’il l’a vu sur internet…pensa le médecin, sarcastique.

    Louka tenta de faire le vide, il parlait toujours un peu pour se montrer poli à son entrée dans une pièce, mais lorsqu’il auscultait ses patients, il était complètement dans son travail et se refusait toutes formes de dispersion.

    Pour calmer le parent insistant, il vérifia les ganglions de la petite. Et lui fit un grand sourire. Il sortit de sa poche une sucette et la tendit à Mandy.

    - Profites-en, avant l’opération il ne faudra plus que tu ne manges quoi que ce soit, lui expliqua-t-il.

    - Vous m’écoutez à la fin ! interpela le père.

    Gardant son calme, le docteur se tourna et expliqua qu’il n’y avait rien à craindre. Que l’état de la fillette était bénin, que ça ne changerait rien au processus. La transplantation était toujours d’actualité, les parents ne devaient pas s’inquiéter outre mesure…

    Il leur sourit enfin pour conclure sa visite, salua Mandy et se dirigea vers la sortie.

    - Je veux une seconde opinion, rugit le père derrière lui. Sinon je vais voir votre chef directement !

     

    Louka contracta la main qui se trouvait dans sa poche. Combien il aurait aimé être capable d’expliquer au père qu’il inquiétait sa fille pour rien. Que lui était médecin, qu’il savait ce qu’il faisait. Mais il ne s’en sentait pas la force.

    Eviter le conflit. A tout prix.

    - Monsieur Darcy, je vais demander à un de mes collègues de passer, assura-t-il au père colérique.

     

    Il retourna au pôle des infirmières. C’était en fait simplement quelques bureaux entourés d’un bar assez haut, où l’on rangeait les dossiers et où les médecins cherchant une pause pouvaient s’adosser cinq minutes.

    Il rangea le dossier médical de Mandy à sa place et souffla un bon coup. Il avait une opération de prévue pour cet après-midi. Il fallait tenir la journée…

    Et dans quel but ?se demanda-t-il.

    Il sortit la barre de Bounty de sa poche et l’ouvrit avec délicatesse. Son plaisir matinal. Il croqua et laissa la tension retomber. Il était accroc à ces barres depuis toujours. Elles lui remontaient le moral. Certes, elles avaient été plus ou moins responsables de ses petites poignées d’amour… Mais ça valait le coup.

    La libération de sérotonine qu’entraine le chocolat me permet de ne pas péter les plombs au boulot…

     

    Une infirmière s’appuya contre lui. Elle le tira de ses pensées.

    - Hé Kimmy. Comment tu vas ? demanda-t-il.

    La jeune femme noire aux cheveux tressés haussa les épaules. Elle était assez imposante avec ses nombreux kilos en trop et sa voix forte.

    - On fait aller mon grand ! Il faut toujours élever le mari et s’occuper des enfants, plaisanta-t-elle. Toi, tu es toujours tout seul ?

    Louka ne put réprimer un sourire. Kimmy avait été la première dans l’hôpital à lui offrir son amitié. Elle était honnête et directe, parfois trop, ce qui lui prêtait en général une réputation d’emmerdeuse auprès des médecins. Mais son tempérament faussement cynique et affectueux avait rappelé à Louka son meilleur ami. Depuis qu’ils se connaissaient, l’infirmière s’était trouvée un intérêt tout particulier dans la vie sentimentale de son ami docteur.

    Enfin, le manque de vie sentimentale…

    Ce fut au tour de Louka de hausser les épaules pour répondre.

     

    - C’est quoi le problème, mon grand ? Ne me dis pas qu’avec ce corps si sexy et ce visage d’ange, tu n’as pas d’opportunités ? insista-t-elle.

    Elle prenait également plaisir à le titiller, puisqu’il n’y avait aucune ambiguïté quant à la nature de leur relation.

    Le jeune homme se mit à rougir.

    - Il y a bien le docteur Marce, qui semble me faire du rentre-dedans, chuchota-t-il.

    Elle prit un air affolé.

    - Cette nympho ? Mais elle va te manger tout cru, fit-elle avec son accent des îles. Ne me dis pas que tu es intéressé !

    Louka assura que non en riant. Elle trouvait toujours le moyen de lui remonter le moral…

     

    - Tu trouveras peut-être ton bonheur chez les pyjamas roses, fit-elle en désignant son accoutrement. On a eu un arrivage d’infirmières ce matin… Trop occupé pour remarquer, j’imagine !

    Le jeune homme afficha un air penaud. Perdu dans ses pensées, comme toujours.

    Son portable se mit à vibrer dans sa poche. Il s’excusa auprès de son amie et décrocha.

    - Tu as le temps de manger avec moi ? demanda Matt.

    - Je peux prendre ma pause dans une heure, tu me rejoins devant l’hôpital ?

    Louka raccrocha.

     

    ***

     

    - Deux sandwichs poulet mayo, s’il vous plait, demanda Matt au marchand.

    Il se retourna vers son ami en se frottant les mains, pendant que le vendeur préparait leur frugal repas.

    - Comment s’est passée ta matinée ? questionna-t-il.

    Louka arqua un sourcil.

    - Comment s’est passée ta soirée ?

    Le jeune homme détacha son regard de celui du médecin. Il se concentra sur la préparation des sandwichs, comme si c’était la chose la plus intéressante qui soit.

    Il dépassait bien Louka d’une dizaine de centimètres. Sa peau mate et son air de bad boy avec ses yeux et cheveux noirs, ajoutés à sa barbe de plusieurs jours juraient avec le genre intello de son ami. Pourtant, à ce moment, il était bien plus intimidé par les yeux clairs et accusateurs de Louka.

     

    D’accord, donc on fait comme d’habitude et on prétend que ce n’est jamais arrivé, réalisa le médecin.

    Le marchand donna les sandwichs à Matt. Ce dernier se tourna vers son ami et s’apprêta à ouvrir la bouche, mais Louka avait déjà tendu vers lui les billets.

    Matt le remercia avec un regard bienveillant et se saisit de l’argent pour payer le commerçant.

    - Merci, je suis un peu « short » en ce moment…

    Ouais, on va formuler ça comme ça…

    Louka se devait de dire quelque chose, mais il ne se sentait pas la force d’une nouvelle dispute. Son meilleur ami n’en ferait qu’à sa tête de toute façon…

     

    A la place, il désigna de son doigt l’oreille de Matt. Un brillant ornait le lobe rouge violacé nouvellement percé.

    - Après mangé, je t’enlève cette horreur. C’est en train de s’infecter, je ne veux même pas savoir où tu es allé te faire faire ça…

    Matt porta la main à son oreille, mais il grimaça au contact de la chair infectée. La vérité était qu’il ne se souvenait même plus de cette récente « acquisition » pourtant elle ne devait pas dater de plus tard que la veille au soir…

    - Merci, marmonna-t-il. Au fait, tu n’as rien trouvé par terre, dans le salon ? Ou dans le couloir peut-être ?

    - Non… Trouvé quoi ? lança innocemment Louka.

    Le médecin glissa la main dans sa poche et joua avec la pièce en plastique pendant un instant.

    S’il en parle, c’est un début, se dit-il.

    - Rien. Rien, laisse tomber. Alors, comment s’est passée ta matinée ?

     

    03

     

    Louka déboula en trombe de la salle d’opération. Il laissa claquer la porte derrière lui. Il se concentra sur sa respiration. Il ne devait pas perdre ses moyens, il n’était plus un gamin. On ne le prendrait jamais sérieusement si… Mais ses yeux commencèrent à s’embuer.

    - Non, murmura-t-il pour lui-même.

    Il laissa tomber son poing sur une table. La douleur le sortit de sa transe. Il se débarrassa de sa blouse chirurgicale en plastique et la jeta dans une poubelle.

    Il devait absolument mettre de la distance entre cette satanée pièce et lui.

     

    Il continua à respirer bruyamment alors qu’il traversait le couloir. Il se dirigea vers le pôle des infirmières. Il serait très certainement seul, à cette heure-ci, il n’y avait pratiquement plus personne dans l’hôpital.

    Tant mieux.

    La seule chose dont il avait besoin, c’était le distributeur automatique.

    L’opération avait duré des heures. Ce n’était pas censé se passer comme ça. Comment les choses avaient pu tourner aussi mal ? Il y avait eu des complications. « La faute à pas d’chance ».

    Ouais, ben « pas d’chance » vient de tuer une mère de famille !

    Il sentit son calme récemment acquis, s’envoler de nouveau.

    Des heures. Des heures pour la sauver. Et pour rien. A quoi cela rimait-il ?

     

    Louka avait mis machinalement la pièce dans le distributeur. Il s’apprêta à taper le numéro qu’il pensait connaître par cœur, mais vérifia tout de même dans la vitrine par manque de confiance.

    - Non, murmura-t-il de nouveau.

    Il allait craquer. Une voix lui parvint de derrière.

    - C’est moi qui ai pris le dernier Bounty… Tu veux qu’on le partage ?

    Le docteur se retourna doucement vers la source de cette voix chaleureuse. Il ne l’avait jamais entendue avant, il en était certain.

     

    Au milieu du pôle, une petite infirmière lui tendait une barre de Bounty avec un sourire aux lèvres.

    Il se rapprocha d’elle. Elle devait lui arriver au-dessus de l’épaule, tout au plus. Ses cheveux étaient bruns et tirés en une queue de cheval, pour ne pas la gêner.

    Louka se perdit dans ses grands yeux bleus magnifiques. Il tomba sous le charme de ses pommettes et des quelques taches de rousseur qui parsemaient ses joues.

    Il ne put qu’acquiescer pour répondre à la question de la jeune femme.

    Elle remit la barre chocolatée dans la main du médecin. Il sentit comme un courant électrique lorsque leurs mains s’effleurèrent.

    - C’est un de ces jours où on a besoin des petites choses ? demanda-t-elle.

    Il coupa la barre en deux, et lui en donna la plus grosse moitié.

    - Exactement.

    Sans la quitter des yeux, il porta la barre à la bouche. Et le plaisir l’envahit comme une vague de chaleur. Elle lui sourit en voyant l’effet que procurait son cadeau.

     

    Elle tendit la main vers sa joue, et il eut un mouvement de recul lorsqu’elle le toucha.

    - Excuse-moi, dit-elle. Tes joues sont brûlantes. Ca va ?

    Il regretta son geste. Il n’avait pas voulu la blesser. Surtout qu’elle semblait s’inquiéter de son état.

    Il sourit, puis referma vite la bouche, à l’idée que le chocolat ait pu se fourrer entre ses dents.

    - Désolé, s’excusa-t-il à son tour. Opération difficile.

    Elle hocha la tête, compatissante. Elle eut le tact de ne pas en demander plus, de peur de le mettre mal à l’aise.

    - Je m’appelle Elizabeth, mais tout le monde m’appelle Lisa, se présenta-t-elle en tendant sa main.

    Il s’en saisit et la serra avec délicatesse.

    - Louka. Tu es une des nouvelles infirmières ?

    - Oui, je commençais aujourd’hui. Et déjà j’ai la garde de nuit. Quelle chance ! fit-elle avec un faux air enjoué.

    Le jeune homme sourit malgré lui. D’ailleurs, il ne pouvait pas s’empêcher de sourire.

     

    Après sa dernière bouchée, il jeta le papier d’emballage dans une poubelle.

    - Merci beaucoup, pour le Bounty et pour… hum, le reste…

    Il mit ses mains sur sa taille, pour se donner une contenance. Mais sa timidité prit le pas sur son assurance. Il recula de l’autre côté du comptoir.

    Il sentit son portable vibrer dans sa poche. De ses mains cachées derrière le comptoir, il vérifia l’expéditeur : Matt.

    Lisa passa une mèche derrière son oreille et sembla hésiter. Manifestement, elle aussi cherchait à rassembler du courage. Finalement elle se lança :

    - Ca te dirait de boire un chocolat chaud ? Ca aussi c’est bon pour le moral…

    Louka sourit de plus belle, mais avant, il devait vérifier… Il baissa les yeux vers son portable.

    Le message était simple : « 911 appart ».

    Merde.

    Lorsqu’il porta de nouveau son regard dans celui de Lisa, il ne souriait plus.

    Comment s’y prendre pour lui dire non, tout en lui faisant comprendre qu’il n’aimerait rien de plus que de passer un moment avec elle ?

    - Je suis vraiment désolé, assura-t-il. Mais je dois rentrer… Un autre jour ?

    La déception s’inscrivit sur le visage de la jeune femme, mais elle acquiesça tout de même.

    - Bonne soirée, lança-t-il avant de courir vers la sortie.

    Dommage, se dit-elle. Premier jour, premier coup de foudre, première déception…

    Elle en conclut qu’il n’était pas intéressé, et retourna à son travail.

     

    ***

     

    Louka rentra aussi vite que possible. Lorsqu’il pénétra dans le salon, il faillit glisser sur le sol.

    Un liquide s’était renversé.

    Pitié, pas du sang…implora-t-il en se souvenant du message de détresse de son ami.

    Il appuya sur l’interrupteur. L’intensité de la lumière le surprit un peu, mais il s’y accommoda. Il regarda à ses pieds.

    Un cadavre de bouteille en verre jonchait le sol.

    Du vin…

     

    - Louka.

    Le docteur releva la tête pour découvrir son ami allongé sur le sol, entre la télévision et le canapé.

    Oh mon Dieu, réalisa-t-il.

    - Matt ! Ne bouge pas.

    Son ami était passé au travers de la table en verre. Des gouttes de sang suintaient autour du corps immobile.

    Louka courut dans sa chambre et revint avec une trousse de premiers secours « spécial médecin ».

    Il s’agenouilla au milieu du verre brisé, prenant soin de ne pas se blesser à son tour.

    Pas la colonne vertébrale, pas la colonne vertébrale, suppliait-il.

    Il prit une aiguille et la planta doucement à différents endroits du corps de son ami. Lui demandant s’il ressentait la douleur.

    - Oui, oui, j’ressens bien la douleur, maintenant si tu pouvais arrêter la douleur, j’apprécierais assez ! râla-t-il.

     

    Comme le matin précédent, Louka pouvait sentir que Matt avait bu.

    Progressivement, il le fit se retourner. Heureusement, les blessures étaient bénignes. Il n’avait été coupé que de manière superficielle.

    Il aurait besoin de quelques points de suture pour une ou deux balafres, mais ça s’arrêtait là. Louka avait craint bien pire…

    Il décida de le faire s’asseoir sur le canapé. Il s’occupa lui-même des points de suture et ne lui donna rien pour la douleur. Contrairement à lui, Matt avait un seuil de résistance assez élevé, et le médecin ne s’aventurerait pas à lui donner des anti douleurs alors que son patient était complètement biture.

     

    - Je peux savoir comment s’est arrivé ?

    - Hum… Glissé, répondit Matt.

    Louka reposa son kit de chirurgie et soupira.

    - Ecoute, ça ne peut plus durer, dit-il d’une petite voix.

    - Oh hé, ça va ! grogna le brun. Tu rentres, tu râles. Alors que moi j’avais une surprise pour toi !

    Le docteur haussa les sourcils. Matt releva la manche de son t-shirt jusqu’en haut de son épaule.

    Sur la peau rougie, le mot KILLER était tatoué en majuscule.

     

    Le visage de Louka se décomposa d’abord. Puis il prit un air froid et méprisant.

    - Tu trouves ça marrant ? demanda-t-il d’une voix glaciale.

    Matt recula et faillit basculer en arrière, choqué par le ton de son ami.

    - Et pourquoi tu dis que c’est pour moi ? questionna le médecin.

    Le poivrot éclata de rire.

    - C’est un tatouage. Sur mon épaule ! dit-il comme si c’était évident.

    Louka garda le silence, son ami était incohérent. Il s’expliqua alors :

    - « Epaule tatoo » ? Je me suis dit que si je le faisais, tu arrêterais de m’emmerder avec tes chansons débiles !

    Matt pencha sa tête pour observer son tatouage. KILLER… Tueur.

    - Et puis c’est vrai, non ? ajouta-t-il.


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  • Le Duel - Tome 3 Fin de partie Couverture.jpg

    Résumé :

    Il reste moins de quarante-huit heures à l’Astonien pour trouver un moyen de contrer l’offensive de l’Institution qui menace de débarquer sur Terre. La guerre ouverte fait rage dès lors qu’Orélia fait exploser la maison de Wesley depuis son vaisseau dôme. En plus de ses ennemis, le jeune homme va devoir résister à de violents spasmes qui mettent sa vie en danger et dont l’origine demeure inconnue. Dans un même temps, un troisième joueur fait son entrée dans la partie et risque bien de bouleverser l’ordre des choses. Le secret caché de Jork est peut-être la dernière chance pour la Terre. Mais en reste-t-il une pour Wesley et Orélia ? Toutes les réponses à vos questions sont rendues dans ce tome qui conclut la trilogie « Le Duel », et où l’action et le suspens sont omniprésents !

     

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    Chapitre

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    Extrait :

    01

     

    Tout ce temps pour finalement trouver que l’objet le plus puissant de cette misérable planète était caché dans un trou perdu, pensa la Darkane.

    Elle regarda autour d’elle. Elle se trouvait à la bordure d’un petit village de l’est de la France. D’un côté, les maisons semblaient dater du siècle dernier alors que de l’autre s’étendait une épaisse forêt de conifères.

    Le jeune homme brun parcourut les cheveux blonds de sa compagne avec sa main. Il l’embrassa fougueusement, sans faire preuve de la moindre tendresse.

    Quel abruti, se dit Orélia, il faut vraiment que je prenne sur moi. Encore quelques minutes et puis…

    - J’en ai envie, j’en ai envie maintenant ! insista l’humain.

    Ouais, ça j’avais compris, se dit-elle.

    Il se faisait plus pressant, caressant la poitrine de la Darkane et passant la main sur ses fesses. Elle le repoussa fermement.

    - Tu sais où j’ai envie de le faire ? On m’a parlé d’un endroit mystique pas loin avec trois pierres érigées dans le sol. C’est excitant je trouve…

    Elle balaya ses lèvres avec sa langue pour plus d’emphase.

    Il la scanna de haut en bas avec un sourire vicieux. Sa boucle d’oreille accentuait l’effet mauvais garçon qui émanait du vieux pantalon troué, du t-shirt noir à tête de mort et des cheveux gras en bataille.

    - Tu veux faire des cochonneries sous le dolmen ?

    En plus il est romantique, pensa Orélia.

     

    Il la ramena à sa voiture, s’installa au volant et frissonna.

    - Quel région de merde ! maudit-il en augmentant le chauffage

    Le froid ne dérangeait pas la Darkane, contrairement à son compagnon, aucun nuage de vapeur ne se formait lorsqu’elle expirait.

    La libido du garçon prit le pas sur sa prudence et il roula à grande vitesse hors du village, malgré le brouillard. Il s’enfonça sans considération sur une petite route boueuse dans la forêt.

    Il s’empressa de sortir de la voiture, et la prit par le bras. Elle attrapa son sac avant de sortir.

    - Tu n’a pas besoin de sac pour ce que l’on va faire, assura-t-il en attrapant l’anse.

    Elle l’arrêta et avec un rire qui sonnait faux proclama :

    - Si tu touches ce sac, je te tue sans attendre.

    Il rit de bon cœur à ce qu’il venait de prendre à tort pour une plaisanterie et ils s’aventurèrent dans la forêt. Bientôt la végétation se fit moins dense et ils arrivèrent au pied d’une colline à pente douce.

    Au sommet, se dressaient trois menhirs de presque deux mètres de hauteur. Ils étaient espacés de la même longueur et formaient maladroitement un cercle.

    - Voilà le dolmen, annonça-t-il.

    Elle roula des yeux et retint son commentaire :

    On ne t’a jamais appris qu’un dolmen était refermé sur le dessus ? Un vrai génie, celui-là.

    Un sourire méchant se dessina sur le visage de la Darkane. Seuls des champs et la forêt composaient l’horizon : ils ne seraient pas dérangés, il n’y avait aucune habitation à des kilomètres.

    Rien d’autre que l’amplificateur. L’arme la plus puissante.

     

    De près, on pouvait distinguer un symbole sur chacun des menhirs. L’un portait le symbole Darkan : les trois serpents enchevêtrés. Le second était orné du soleil Astonien. Enfin le dernier possédait un symbole que l’élue de l’Institution attendait de contempler depuis son retour d’Italie, six mois auparavant : le symbole de la Terre.

    Il était composé d’un triangle équilatéral pointant vers le bas. Toutes les hauteurs étaient tracées et se recoupaient en un seul point. Enfin, le triangle était inséré dans un cercle parfait.

    Elle plaqua l’humain contre le pilier de la Terre. Un sourire béat s’inscrivit sur son visage.

    - Tu es une petite sauvage !

    - Tu ne crois pas si bien dire, chuchota-t-elle. Merci pour ton aide, tu as été très utile.

    Elle garda sa main gauche sur le torse du garçon et tendit l’autre. De la fumée noire s’échappa de sa paume pour former un poignard dont la lame recourbée brillait sous la lune, malgré le brouillard. Une lueur de terreur passa dans le regard de l’humain.

    Il tenta de se libérer de la prise de la Darkane, mais sa force hors norme l’en empêcha. Elle partit d’un rire bruyant lorsque la lame s’enfonça dans l’abdomen du garçon.

    Du sang éclaboussa le visage d’Orélia.

     

    Elle retira le poignard du corps de sa victime et écarta d’un bras le cadavre qui tomba sur le sol avec un bruit sourd. Elle contempla la lame maculée du sang humain et la frotta contre le pilier de la Terre.

    Comme possédé, le sang glissa jusqu’au symbole incrusté dans la pierre, épousant tous les contours de la gravure. Il se mit alors à briller d’une lueur douce.

    Elle plongea son autre main dans la poche et en ressortit un flacon de sang.

    - Merci pour ton cadeau, tu es si généreux Wes, ricana-t-elle.

    Elle l’envoya s’écraser contre la pierre Astonienne. Le même phénomène se produisit avec ce symbole.

    Enfin, elle s’approcha du pilier de son propre peuple. En un regard, la lame du poignard fut nettoyée du sang qui la tachait. Elle le passa délicatement sur sa paume, et pressa l’entaille contre le symbole qui se mit également à luire.

    L’éclat de la lumière augmenta.

    Orélia se plaça au centre des trois pierres et sortit de son sac le précieux cristal avec précaution.

     

    Des éclairs commencèrent à sauter d’un pilier à l’autre, pour former enfin un triangle parfait. Alors que l’électricité gagnait en intensité, des nuages noirs apparurent de nulle part et gagnèrent le ciel, plongeant la forêt et les alentours dans une obscurité démoniaque.

    Le cristal se mit à dégager de la chaleur et à pulser en rythme. Le flux d’éclairs jaillit des pierres pour se rejoindre au centre, fusionnant avec Orélia et le cristal. Une colonne d’énergie prit naissance au cœur de l’amplificateur et fusa à travers le ciel et les nuages pour gagner l’espace.

    On pouvait voir comme en plein jour, mais cela n’avait plus d’importance.

    Bientôt, une masse de plusieurs centaines de mètres quitta doucement son orbite pour se placer dans la trajectoire du faisceau.

    Lorsque le vaisseau fut en alignement avec l’amplificateur, la Darkane se mit à sourire et murmura pour elle-même :

    - Echec et mat.

    Elle disparut dans le faisceau. Et l’amplificateur sembla perdre vie. Les nuages se dissipèrent et le vaisseau spatial reprit de l’altitude.

     

    Orélia parcourut les couloirs sombres de son vaisseau encore inactif. Elle ouvrit une porte et se retrouva face au générateur. Elle installa le cristal sur son socle et il se mit à rayonner de sa lumière noire habituelle.

    Lorsqu’elle se retourna, elle put constater que les néons s’allumaient, que les machines se mettaient en marche, et que les propulseurs accéléraient : le vaisseau reprenait vie.

    Tant d’années en orbite et pourtant intact, réalisa la Darkane.

    Elle gagna la salle de contrôle. Un panneau métallique s’ouvrit et elle put contempler la petite planète bleue à travers les vitres. Le centre de tous les conflits, l’objet de toutes les convoitises : le peuple qui ferait basculer la guerre d’un côté ou de l’autre.

     

    Elle commença à pianoter sur une console et l’écran s’alluma.

    - Transmission avec le monde Darkan ouverte, annonça la voix automatique de l’ordinateur.

    Un visage s’afficha à l’écran. Un homme d’une cinquantaine d’années à première vue. Il était chauve et son crâne était orné d’un tatouage Darkan. Orélia l’avait déjà vu une fois, en rêve, près de deux ans auparavant, lorsqu’elle avait eu un aperçu dramatique d’un futur probable.

    Alors c’est réel, se dit-elle. Tout se qui se passe lorsque je suis plongée dans ce monde étrange avec la version altérée de Wesley. D’une certaine façon, je vois vraiment le futur.

    Elle se mordit la lèvre : dans cette vision précise, l’Astonien la tuait…

    - J’ai pris le contrôle de l’amplificateur, et du vaisseau Darkan, annonça Orélia en guise de rapport.

    - Je suis fier de toi ma fille, annonça le Darkan.

    Un frisson parcourut l’échine de la jeune femme.

    « Ma fille » ?

     

    02

     

    Un mois plus tard.

     

    Wesley entra dans sa chambre du dortoir. Toujours sur ses gardes, il scruta la pièce baignée d’obscurité. Sans appuyer sur l’interrupteur, il pouvait distinguer parfaitement son lit à une place, dans un angle, accoté à une petite table de nuit simplement ornée d’un réveil digital et d’une photo encadrée de ses parents et lui. Il y voyait très bien, et ce malgré l’obscurité de la nuit extérieure. Dans l’angle opposé se trouvait son bureau, où il était censé réviser ses cours journaliers.

    Présenté comme ça, on perd de vue que la chambre ne fait que neuf mètres carrés…

    Il alluma finalement, s’assit sur la simple chaise en bois devant le bureau et posa son sac à dos sur ses genoux. Avec un soupir, il parcourut du regard l’extérieur à travers la seule fenêtre de sa pièce. Sa chambre se trouvait au rez-de-chaussée, et sa vue était surtout composée de grands arbres. Ses pupilles s’ajustèrent au-delà de la normale et il put apercevoir ce qu’il cherchait.

    Toujours là… Mais me sous-estimer à ce point, c’est presque offensant.

     

    Il sortit de sa poche l’holographe et appuya dessus. Désormais, quiconque épierait sa chambre de l’extérieur le verrait travailler inlassablement ses cours de médecine sur son bureau.

    L’Astonien se relaxa légèrement et prit son portable pour appeler ses parents. Ils décrochèrent dès la seconde sonnerie. Depuis qu’il avait quitté la maison familiale, sa mère – principalement – était particulièrement anxieuse de le savoir loin d’eux. « Seul au milieu de jeunes compétitifs, dans une grande ville où les tueurs devaient pulluler ».

    Difficile de lui faire comprendre que ce ne sont pas vraiment les tueurs « conventionnels » de cette bonne vieille planète Terre qui m’effraient…

    Bien qu’il se le cachât, Wesley était plus effrayé pour ses parents que l’inverse. Si Orélia se décidait, ils étaient une cible de choix contre son ennemi. Et une cible facile de surcroît, maintenant qu’ils ne se trouvaient plus sous la protection directe de leur fils.

     

    - Mon chéri, tu vas bien ? demanda Loïs.

    L’inquiétude dans sa voix était palpable. On pouvait réellement la qualifier de mère poule.

    - Oui maman, tout va très bien. Et papa et toi, ça va ?

    - Qu’est-ce que tu as mangé aujourd’hui ? questionna-t-elle sans même prêter attention à l’interrogation de Wesley.

    Un petit sourire naquit sur le visage du jeune homme.

    - Au restaurant universitaire maman, comme tous les jours. Tu sais, des repas aussi équilibrés que les tiens, mais avec le quart du goût.

    Un peu de flatterie ne peut pas faire de mal.

    Il continua de rassurer sa mère un petit moment puis parla plus sérieusement à son père, qui lui, semblait beaucoup plus axé sur son travail. Combien d’heures de travail ? Quelle quantité ? Avait-il toujours confiance ?

    Le principe du concours n’était pas pour diminuer la pression qui pesait sur les épaules de l’Astonien. Mais le choix avait été fait sept mois plus tôt, le jour où il avait retrouvé son professeur de biologie – et mentor dans son combat contre Orélia – gisant mort au milieu de son propre sang.

     

    Wesley raccrocha. Mais contrairement à ce qu’il avait promis à son père, il ne se mit pas à réviser ses cours. En fait, il n’avait pas révisé un seul cours depuis le début de l’année. Maintenant, son niveau de capacités lui permettait d’enregistrer mentalement chaque cours par leur simple écoute lors de la présentation par le professeur.

    Tout son temps libre était entièrement consacré à son entraînement.

    Il se leva et contempla sa main, au bout d’une seconde, ses doigts prirent une teinte argentée, presque liquide. Cet aspect se répandit le long de son bras puis sur tout son corps, et progressivement, il disparut. Invisible. La lumière glissait sur lui sans plus pouvoir s’y accrocher.

    Il ouvrit la porte et se faufila dans le couloir. Il le parcourut – évitant au passage chacun des élèves qui croisait sa route – et sortit de l’immeuble.

    Il tenta au mieux de masquer son odeur psychique. Il ne pouvait pas la faire disparaître, Salatar avant de mourir avait affirmé qu’il était impossible de l’effacer. Par contre, il avait appris à la faire disparaître « aux yeux » des gens autour de lui lorsqu’il les approchait. Wesley agissait alors sur leur mental, sans pour autant prendre totalement contrôle de leur cerveau. Il avait atteint un tel niveau que cette technique s’était révélée efficace sur tous les laquais d’Orélia, mais il doutait fortement de la même efficacité contre sa plus grande rivale…

     

    L’élu de l’Alliance s’éloigna du bâtiment universitaire pour prendre à revers ses ennemis. Wesley les surprit cachés derrière les buissons. Deux Dastiques.

    La chair à canon d’Orélia…

    Ils étaient là tous les jours, le suivant à la trace, essayant au maximum de brider ses pouvoirs pendant la nuit pour l’empêcher d’anticiper en rêves les actions de la Darkane.

    Ils ne quittaient pas la chambre du jeune homme des yeux. Un char aurait pu passer derrière eux sans les alerter. En revanche, l’odeur mentale de l’Astonien le pouvait… Il força légèrement sa concentration pour leur faire oublier cette odeur caractéristique.

    Il s’approcha sans bruit des deux compères, et lorsque l’espace entre les trois fut suffisamment restreint, il posa sur chacun une main derrière la tête et prit sans problème le contrôle de leurs esprits.

     

    Les deux mercenaires n’auraient aucun souvenir du passage de l’Astonien dans leur cerveau, il ferait attention de ne laisser aucune trace et les « convaincrait » qu’ils n’avaient pas vu le temps passer.

    Wesley commença par plonger dans leurs souvenirs. Cherchant la moindre information concernant Orélia, car il devait la trouver, et la détruire.

    Elle avait trouvé l’amplificateur, de cette information, il eut la confirmation par les deux. Mais elle avait dû anticiper l’action du jeune homme car lorsqu’elle les avait rencontrés la dernière fois pour leur délivrer leurs consignes, elle l’avait fait dans une ruelle sordide, sans leur mentionner la localisation de l’arme ou de ses intentions futures.

    L’Astonien tenta de percer au-delà, sans trop se préoccuper des séquelles sur les cerveaux des Dastiques. Mais Orélia n’avait effacé aucune information de leur mémoire, sans quoi un résidu aurait perduré, que Wesley aurait pu trouver – comme sur un disque dur que l’on tente de remettre à neuf.

    Elle était bien trop intelligente pour faire confiance à ces deux là.

    Et bien trop « intelligente » pour faire confiance à qui que ce soit…

    Cependant, quelque chose se tramait. Sans pour autant connaître la nature de l’action, les laquais de la Darkane savaient que quelque chose de gros se préparait. L’attaque finale était proche, et Wesley en serait la cible.

    Le jeune homme se sentait à la fois anxieux et rassuré. Ses parents ne semblaient pas impliqués, et il était content d’apprendre que la fin arrivait – d’une façon ou d’une autre. Par contre, une partie de lui ne pouvait s’empêcher de craindre le massacre à venir…

    Je serai prêt… Quoi qu’il advienne. De toute façon je suis prêt depuis des mois.

     

    Persuadé qu’il ne pourrait plus rien extirper des deux larbins, il relâcha son emprise et s’enfuit comme il était venu. Il les contempla quelques minutes pour être sûr de ne pas avoir révélé sa présence au cours du processus et quitta l’enceinte de l’établissement.

    Il se rendit au stade le plus proche. Il avait l’habitude de le fréquenter depuis le début de l’année scolaire. Une équipe de rugby poursuivait son entraînement. Avec une pointe de culpabilité, comme tous les soirs, il intima par la pensée à tous les joueurs de quitter le terrain. Ils resteraient tous dans les vestiaires jusqu’à l’heure à laquelle l’entraînement aurait dû prendre fin.

    Il plaignait les équipes qui venaient s’entraîner sur ce terrain, car aucune d’entre elle n’avait pu réellement le faire depuis des mois. Mais l’enjeu était trop important pour être contre balancé par quelques kilogrammes en trop et probablement un niveau en sport qui diminue.

    Ils étaient tous humains, Wesley avait pu les faire obéir à des dizaines de mètres de distance. Il craignait beaucoup ce qu’Orélia pouvait faire par pure vengeance et méchanceté aux Terriens qui croisaient sa route…

     

    L’Astonien marcha jusqu’au centre du terrain, puis il sortit de sa poche un holographe, de la taille d’un gros galet. Après la mort de Salatar, il avait fouillé sa maison dans le but de trouver tout ce qui pouvait l’aider dans sa quête. Il était notamment tombé sur la version platinum de son propre holographe.

    Lorsqu’il le mit en marche, une bulle de couleur bleue s’échappa de l’objet extraterrestre pour englober pleinement le terrain. Les passants ne verraient plus que l’équipe jouer normalement au rugby…

    - Et c’est parti… marmonna Wesley.

    Il redevint visible et contracta le poing. Le symbole d’Aston se mit à briller sur la face externe de sa paume et il laissa son énergie se déverser librement.

    La prise de contrôle des Dastiques et l’invisibilité avaient été un échauffement maigre mais suffisant. Un cercle de sa force éloignait les grains de sable et faisait vibrer l’herbe autour de lui. Il se concentra au maximum et ses pieds commencèrent à quitter la terre ferme. Il lévita quelques instants à vingt centimètres du sol, puis une grimace s’inscrivit sur son visage et il retomba sur le terrain.

    A vouloir commencer par le plus dur, il était voué à l’échec…

    C’est pas grave, on va passer à la suite…se dit-il finalement, sa volonté restée innébranlée.

     

    03

     

    Le troisième cours de l’après midi venait de s’achever. Wesley leva les yeux vers l’horloge… Cinq petites minutes le séparaient du prochain enseignement assommant.

    - Non, mais franchement, t’as vu, c’est pas la peine de venir si tu veux pas tenter le concours ! marmonnait une voix de fille, quelques rangs derrière lui.

    L’Astonien avait tant développé ses cinq sens que pratiquement rien ne lui échappait plus… Dans tout l’amphithéâtre, bien peu de choses pouvaient se produire sans qu’il en soit immédiatement au courant.

    Et le fait qu’il assiste aux cours sans prendre de notes faisait jaser. Il devait supporter tous les jours ce genre de petites remarques intelligentes…

    Seulement, voilà, j’en ai pas besoin…

    Si cette guerre prenait un jour fin – et une fin heureuse si possible – le jeune homme pourrait devenir un médecin hors pair, simplement grâce à sa maîtrise de la « guérison spontanée » qu’il arrivait maintenant à prodiguer à des tiers.

    Il en avait effectivement fait l’expérience lorsqu’il rentrait chez lui un week-end. Il avait assisté à un accident de la route et était allé prêter main forte aux passagers de la voiture renversée. Quand il s’était aperçu que le conducteur avait perdu connaissance, il s’était servi de ses pouvoirs pour le désincarcérer et avait posé sa main sur son torse, progressivement, les lésions de la personne s’étaient résorbées…

     

    Il était très difficile de se reposer à l’intercours, car la majorité des cinq cents élèves contenus dans le cube qui leur servait de classe en profitait pour se détendre en discutant de sujets anodins. De plus, l’apparence bondée de la pièce était accentuée par le mobilier vétuste : des bancs en bois servaient de fauteuils, et les tables ressemblaient à de simples planches de bois clouées sur toute la longueur de la rangée.

    La lumière du jour pénétrait par les grandes baies vitrées sur la gauche de Wesley. L’amphithéâtre était composé de deux rangées latérales de sièges et d’une bien plus large, au centre. Le jeune homme avait pris l’habitude de s’installer sur l’extrémité gauche de la rangée centrale, de sorte d’être suffisamment près des escaliers qui conduisaient à la sortie, tout en haut des gradins.

    Les élèves avaient pratiquement tous regagné leur place lorsque le professeur de biologie cellulaire émergea de la porte du personnel, tout en bas de la pièce, sous le grand tableau. Il se saisit du microphone et tapota deux fois sur le dessus afin d’imposer le silence à ses élèves. Enfin il commença son cours.

     

    L’Astonien suivait attentivement les paroles de l’enseignant pour mieux les assimiler quand un sentiment étrange le saisit. Un frisson lui parcourut l’échine, une impression de déjà-vu.

    Par réflexe, il jeta un coup d’œil vers l’extérieur. Une ombre passa. Comme si un nuage avait traversé le ciel bleu très précipitamment… Seulement il n’y avait pas un souffle de vent à l’extérieur.

    La sensation se fit plus imposante et le jeune homme n’eut plus aucun doute sur l’origine de son appréhension.

    Pas ici, pas avec autant de monde autour.

    Il réitéra l’expérience de la veille et devint invisible.

    - Qu’est-ce que… ? commencèrent des voix derrière lui.

    Mais Wesley prit les devants et fit oublier au reste de ses camarades son petit tour de passe-passe.

    En bas de l’amphithéâtre, près du professeur, la poignée de la porte pivota, et elle s’ouvrit doucement. L’enseignant s’interrompit.

    - Vous vous êtes perdue mademoiselle ? questionna-t-il.

    Une ombre se détacha de l’encadrement de la porte pour s’avancer doucement dans l’immense pièce.

    Orélia. Ses longs cheveux blonds et relâchés ondulaient sur ses épaules. Elle portait un pantalon de cuir noir et un petit débardeur blanc qui laissait entrevoir son nombril.

    Ca me rappelle la vision apocalyptique que j’ai eue d’elle quand j’ai failli me noyer, il y a deux ans…

    Elle balaya les rangées du regard et se mit à sourire méchamment.

    - Non, je suis parfaitement au bon endroit, assura-t-elle.

     

    Les murmures dans la salle gagnaient en intensité, car bien que la situation parût comique de prime abord, un sentiment très inconfortable s’installait. On aurait dit que le froid était entré avec la Darkane.

    Wesley, toujours invisible, remarqua par-dessus son épaule qu’une demi-douzaine d’ennemis barrait la seule autre issue. La Darkane ne tentait même pas de dissimuler son odeur, car la vanille était bientôt venue chatouiller le nez du jeune homme. Lui, par contre, faisait tout pour cacher sa propre odeur psychique.

    - Mademoiselle, le cours a commencé, alors je vous prierais de sortir, intima le professeur au micro.

    Les élèves parlaient désormais entre eux à voix haute.

    - La ferme ! cria Orélia avec une voix peu humaine.

    Les bouches des étudiants continuaient de s’agiter, mais aucun son n’en sortait plus. Puis elle claqua des doigts, et l’enseignant de biologie cellulaire s’effondra sur le sol, mort.

    - Wesley, je sais que tu es là. Rends-toi immédiatement, où je tue ces dégénérés, un par un, menaça-t-elle.

    Des regards terrorisés passaient d’un jeune à l’autre, sans que le moindre mot ne fût échangé.

    La Darkane laissa passer cinq secondes et reprit :

    - Très bien, je l’admets : je ne serai jamais assez patiente pour les tuer un par un !

     

    Sur ce, elle lança son bras en avant, et un flot d’éclairs jaillit vers les gradins.

    L’Astonien réagit immédiatement : il laissa tomber sa couverture invisible et les arcs électriques vinrent s’écraser dans l’air, à quelques centimètres de la paume de sa main gauche. Orélia sourit de toutes ses dents tout en maintenant le flux d’énergie oscillant entre elle et son némésis.

    - Ca faisait longtemps, fit-elle.

    Pas assez… Mais ce n’est pas la peine de la lancer sur le sujet, sans quoi elle ne s’arrêtera jamais de parler, menacer, insulter etc…

    - Toujours convaincu que tu peux tous les sauver ? continua-t-elle.

    Ben tiens, elle n’a même plus besoin que je lui réponde pour faire la conversation !

    Elle arrêta son attaque. Avec un bref coup d’œil, Wesley eut la confirmation que les gorilles de son ennemie ne bougeraient pas sans un ordre expressif de leur chef.

    Avec une impulsion de la main, Orélia envoya une nouvelle rasade d’électricité vers les monstrueuses lampes, au plafond. L’Astonien, qui avait anticipé son attaque envoya une impulsion vers elle qui la projeta contre le grand tableau noir. Elle retomba avec un bruit sourd sur le sol.

    Mais le jeune homme n’eut pas le temps de reprendre son souffle, il fit un bond de plusieurs mètres pour retomber debout sur une table, quelques rangs en avant. Les ampoules au-dessus de lui explosèrent sous l’attaque d’Orélia, et plusieurs lampes de dizaines de kilogrammes se décrochèrent pour tomber sur les élèves.

    Wesley les rattrapa par la pensée, les maintenant en lévitation.

    - Bougez ! ordonna-t-il aux filles paniquées qui s’étaient figées sous la chute d’objets.

     

    Trop tard, la Darkane s’était relevée, et profitant de la faiblesse de son adversaire, elle précipita l’Astonien contre les baies vitrées à pleine vitesse. Le verre éclata et Wesley passa à travers pour retomber un étage plus bas sur le sol. Il ne put plus maintenir son contrôle et les lampes chutèrent, écrasant les élèves surpris.

    - C’était plus rapide que j’imaginais, assura l’élue de l’Institution, à vous maintenant.

    Elle se tourna vers la foule. Les étudiants avaient essayé de remonter vers la sortie, mais ils avaient été rabattus par les sbires d’Orélia.

    Avec son sourire mauvais habituel, ses avant-bras s’enflammèrent et elle se rapprocha des premiers bureaux.

     

    A l’extérieur, Wesley était tombé sur le dos dans le gazon, inconscient. Plusieurs éclats de verre l’avaient poignardé lors de son passage à travers la vitre, et certains étaient restés figés dans son corps.

    Ses yeux s’ouvrirent d’un coup. Il se releva et arracha les copeaux de verre ensanglantés de son flanc et de son épaule. Ses blessures se refermèrent.

    En un bond, il se percha en équilibre là où la vitre était érigée quelques instants plus tôt.

    - C’est pas tout à fait terminé, annonça-t-il avec une vue plongeante sur l’amphithéâtre.

    Sur le sol, le verre brisé prit vie et se mit à tournoyer autour du jeune homme.

    Un feu avait démarré dans les rangs les plus avancés de la classe. En un revers de la main, l’Astonien y mit fin et la fumée se dissipa. Il fut réconforté par le coup d’œil appuyé qu’Orélia lança à ses hommes de mains.

    Si elle demande de l’aide, c’est qu’elle n’est pas confiante… Bien sûr cela signifie aussi plusieurs adversaires.

    - Si tu ne te rends pas, je leur ordonne de tuer ces humains, menaça-t-elle.

    C’est le sort que tu leur réserves de toute façon.

    Après la mort de Salatar, le jeune homme avait réalisé qu’il ne pourrait sauver tout le monde. Mais le plus tôt il mettait fin aux agissements de son némésis, le plus tôt les gens seraient tranquilles.

     

    Il sauta tel un maître d’arts martiaux sur les bureaux et projeta sur la Darkane les lampes qu’elle avait écrasées sur la foule. Les sbires de l’Institution tentèrent de l’attaquer, mais il avait érigé un champ de protection autour de lui.

    Pendant qu’Orélia évitait les projectiles, Wesley en profita pour dévisser le tableau qui tomba au dessus de la tête de la jeune femme. Elle s’en rendit compte au dernier moment et un mur invisible la protégea de la planche de plusieurs mètres carrés qui s’écrasa autour d’elle.

    L’Astonien saisit enfin le moment pour lancer sur elle les morceaux de verre, coupants comme des rasoirs. Prise entre les lampes, et le tableau, elle n’eut pas le temps de réagir et fut poignardée de toutes parts et littéralement plantée contre le mur.

    Mais le jeune homme fut incapable de s’assurer de sa victoire : un Dastique se jeta sur lui, armé d’un poignard. L’extraterrestre se mouvait avec aisance lui aussi. Il tenta d’asséner plusieurs coups mortels à l’Astonien, mais ce dernier était bien trop agile, et, avec un effort de concentration, il intima au poignard du Dastique d’aller s’enfoncer dans le cœur de son propriétaire.

     

    Des cris l’alertèrent : maintenant qu’Orélia avait été neutralisée, le chaos s’entendait de nouveau dans l’amphithéâtre. Les membres de l’Institution avaient pris les paroles de la Darkane pour argent comptant, et s’étaient mis à tuer les élèves au hasard.

    Plutôt que de sauter vers ses assaillants et lancer sur eux des attaques à profusion, Wesley ferma les yeux et capta chacun de leur esprit au milieu de ceux des humains. Et il tenta de prendre le contrôle de leur mental. Il n’y avait aucun contact physique entre l’Astonien et ses ennemis, et ils étaient plus nombreux que lui, mais chacun d’entre eux dut stopper son massacre pour rejeter l’intrusion du jeune homme dans son crâne. 

    Un à un, ils perdirent le combat psychique qui s’était joué avec Wesley et tombèrent, morts. Il rouvrit les yeux et expulsa les portes de l’amphithéâtre hors de leurs gonds, d’un simple regard. Sans l’ombre d’un remerciement, les étudiants se précipitèrent vers la sortie.

    L’élu de l’Alliance allait se retourner vers Orélia quand la salle fut plongée dans l’obscurité. Aucune lumière artificielle n’existait plus après l’attaque de la Darkane, et quelque chose empêchait la lumière naturelle du soleil de pénétrer à travers le trou béant qu’était jadis la baie vitrée. Le jeune homme se tourna vers l’extérieur et garda la bouche ouverte de surprise.

     

    Un vaisseau de la taille d’une grosse camionnette se tenait en suspension dans l’air, moitié rentré dans l’amphithéâtre. Il était fusiforme, d’aspect plus ovale que rectangulaire et l’alliage qui le formait brillait d’une couleur argentée. Un pare-brise laissait entrevoir un pilote reptilien. Deux spires s’échappaient du bas de l’appareil et ressemblaient dangereusement à des armes.  

    Wesley se tourna vers Orélia, elle s’était décrochée du mur, et bien que ses blessures continuent à saigner, elle tenait dans sa main une petite télécommande.

    Une balise de détresse ?

    - Tirez ! commanda-t-elle.

    L’Astonien eut à peine le temps de sauter de côté avant que le vaisseau ne se mette à tirer une salve de balles d’énergie plasma. Le jeune homme fut propulsé vers la sortie, alors que les munitions s’écrasèrent contre un mur, provoquant une explosion. La structure du bâtiment commençait à se détériorer.

    Le vaisseau pénétra complètement dans la pièce et fit un tour sur lui-même. L’arrière s’ouvrit en une rampe d’accès. La Darkane monta à bord. Wesley se releva pour se précipiter vers elle. Ils échangèrent un regard.

    L’Astonien se campa sur ses deux jambes, prit une profonde inspiration et contracta son poing droit. Il concentra son énergie dans sa main, une lumière blanche apparut entre ses phalanges et le symbole se mit à briller à l’extérieur de sa paume.

    - Décollez ! ordonna Orélia, les boucliers ne résisteront pas à son attaque !

    Le sas se referma, préparant l’appareil au vol à grande vitesse. Les propulseurs latéraux du vaisseau scintillèrent de mille feux et l’évacuèrent du bâtiment avant que l’élu de l’Alliance n’ait eu le temps de riposter.  

     

    Une fois hors d’atteinte dans le ciel, la Darkane s’assit et ses plaies commencèrent à guérir.

    Qu’est-ce qui s’est passé là bas ? Comment a-t-il obtenu autant de pouvoirs ? se demanda-t-elle.

    - Impératrice ?

    Le copilote avait interrompu Orélia dans ses pensées. C’est elle qui avait insisté pour qu’on l’appelle ainsi. Elle devait s’occuper d’abord de la Terre, mais elle avait bien l’intention de conquérir le reste de l’univers. De toute façon, il n’y avait personne d’aussi puissant que Wesley et elle, donc personne ne pourrait s’opposer à son hégémonie.

    A condition que je me débarrasse de lui, ajouta la Darkane pour elle-même.

    - Quels sont vos ordres ? continua le laquais.

    - Ramenez-moi à bord du vaisseau dôme.

     

    Le jeune homme regarda frustré le vaisseau s’enfuir. Il libéra l’énergie de sa main, et en levant un doigt, déclencha l’alerte incendie du bâtiment entier. La structure avait été salement amochée, rien ne pouvait garantir que l’immeuble de huit étages ne s’écroulerait pas bientôt…

    Puis il sortit en courant et rejoignit sa chambre dans la résidence universitaire, à quelques centaines de mètres de là. Il récupéra en vitesse son sac, y jeta des vêtements, les holographes et quitta l’appartement aussi vite qu’il y était rentré.

    Il retrouva sa voiture garée pas très loin et prit la direction de chez lui sans se soucier des limitations de vitesse.

    Elle a attaqué ; tous les gens que j’aime sont désormais en danger. C’est ma faute, si j’avais pu en finir je n’aurais pas eu à les plonger dans cette histoire. Mais je vais devoir les protéger pendant que je m’occupe d’Orélia…

    Pendant les quelques heures de routes qui lui restaient avant d’atteindre sa maison, tout ce à quoi il put penser fut la sûreté de sa famille. Cela n’apporterait rien de les prévenir, de leur dire de se cacher ou de se tenir prêts : ils ne le croiraient pas, et rien de ce qu’ils pouvaient faire ne les protégerait de la Darkane de toute façon…

     

    04

     

    Le vaisseau drone mit peu de temps avant de gagner l’orbite de la Terre. Et il put se déplacer encore plus vite hors de l’atmosphère pour regagner sa base. Il paraissait insignifiant à côté du dôme monstrueux.

    La Darkane activa la transmission et exigea qu’on lui ouvre le hangar des drones. Un côté du grand vaisseau circulaire s’ouvrit, un champ de force maintenait l’oxygène à l’intérieur du vaisseau, ainsi, les extraterrestres présents dans le hangar n’avaient pas à quitter la pièce pour laisser les drones atterrir. Le drone pénétra la barrière invisible sans inconvénient et prit place à côté des dizaines de vaisseaux identiques alignés.

    Lorsque le drone s’ouvrit, deux rangées de membres de l’Institution posèrent un genou à terre pour accueillir leur chef. Quelques-uns osaient relever la tête et tentaient de cacher la surprise de voir l’envergure des dégâts que l’Impératrice avait endurés.

    Car même si aucune trace de blessures ne subsistait, les vêtements de la Darkane étaient déchirés en de nombreux endroits et complètement imbibés de son propre sang.

    D’un regard, elle découragea tout commentaire. Le premier qui ouvrirait la bouche sans autorisation se verrait récompensé par de merveilleuses tortures, promettant une mort lente et douloureuse.

     

    Elle traversa le hangar, puis des couloirs, et la salle des machines pour arriver enfin à la salle de contrôle. En claquant des doigts, ses habits redevinrent comme neufs. Elle ne montrerait sûrement pas à son père qu’elle expérimentait « quelques difficultés » à en finir avec Wesley.

    - Ouvrez un canal de discussion avec le chef de la Triade, dicta-t-elle à ses subordonnés.

    Ils répétèrent l’ordre à l’ordinateur central et les informations traversèrent l’espace pour laisser place sur l’écran au père d’Orélia. Sans plus d’introduction elle lança :

    - Père, il vous faut retarder l’arrivée de l’armée sur Terre.

    - J’espère que tu plaisantes Orélia, il est absolument hors de question de retarder notre prise de contrôle de cette planète. Les humains sont peut-être faibles à l’heure actuelle, mais ils sont plus de six milliards. Ils formeront un jour la plus grosse artillerie de notre armée. La balance penchera en notre faveur dans cette guerre et nous pourrons enfin réduire l’Alliance à néant.

    La Darkane prit une profonde inspiration, elle était passablement énervée à cause de son altercation avec Wesley et sa patience s’effritait à une vitesse alarmante. Elle fit craquer ses doigts et arbora un sourire des plus faux avant d’annoncer :

    - Père, c’était par politesse que je t’ai présenté les choses comme ça… commença-t-elle.

    Le chef de la Triade fronça les sourcils devant l’insubordination de sa fille, mais il n’était pas au bout de ses surprises.

     

    - Je suis l’être le plus puissant qui existe, j’ai en ma possession un cristal et le seul amplificateur en activité de l’univers…

    Elle crut voir son père tiquer, mais continua :

    - Si un seul vaisseau tente de pénétrer l’atmosphère de cette planète je le ferais exploser en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

    - Orélia !

    - Silence, interrompit-elle en levant un doigt. Et sache que dès que l’Astonien aura été vaincu, je prendrai place au-dessus de la Triade et récupèrerai ce qui est mien. Je vaincrai l’Alliance, je gagnerai cette guerre que vous avez tous été incapables de clore en plusieurs siècles et je ferai régner l’ordre. Prête-moi allégeance maintenant et tu garderas ta place dans la Triade.

    - Comment oses-tu ? Espèce de traîtresse ! Tu n’auras rien de…

    Mais il dut s’interrompre et saisir sa gorge, incapable de respirer. Orélia avait posé sa paume sur un panneau de configuration, elle puisait désormais dans l’énergie du cristal et dans l’amplificateur, directement sous le vaisseau à quelques dizaines de kilomètres.

    - Vieux fou, insulta-t-elle, tu ne comprends donc pas ? Avec l’amplificateur, il n’y a aucun endroit dans l’univers où tu puisses te cacher.

    A bien y réfléchir, il y a UN endroit, se dit la Darkane.

    - Tu es à ma merci ! continua-t-elle. Prête serment à ton Impératrice immédiatement, ou tu peux dire adieu à ta pathétique existence.

    Elle resserra son emprise et le teint de son père devint très pâle. Il acquiesça en toussant avec difficulté. Elle le relâcha légèrement, mais pas assez pour qu’il se sente complètement tiré d’affaire.

    - Très bien, les troupes attendront votre ordre… Impératrice.

    Elle sourit et en avec un geste de la main coupa court à la transmission.

     

    - Impératrice, demanda un Dastique avec une légère salutation pour témoigner son humilité, avec tout le respect que je vous dois, pourquoi ne pas utiliser directement l’amplificateur pour détruire l’élu de l’Alliance ?

    Orélia roula des yeux mais concéda finalement à donner une explication à son laquais :

    - Initialement, les amplificateurs ont été installés pour préserver la paix sur les planètes. Ils peuvent assurer la protection de la planète et octroient de grands pouvoirs envers le reste de la galaxie, mais il est impossible de retourner l’arme pour traquer quelqu’un qui est déjà sur Terre. Il me faudrait faire sauter la planète entière pour me débarrasser de Wesley…

    - Alors l’arme n’a aucun intérêt contre l’Astonien ? insista l’extraterrestre.

    S’il continue encore longtemps, il va finir en pièces, se dit Orélia.

    - Pas… directement, admit elle. Il peut augmenter ma puissance si je me trouve à côté lors d’un combat avec Wesley.

    Le Dastique dut réaliser qu’il ne devait pas plus tirer sur la corde car il s’inclina poliment et reprit sa place.

     

    Orélia se tourna vers le pare-brise pour contempler la planète bleue. Elle donna un ordre psychique à l’ordinateur. L’écran projeta un globe holographique, un point blanc brillant ponctuait l’homogénéité de la sphère. Puis, grâce à un agrandissement, la surface s’élargit et devint plus spécifique…

    Avec ce vaisseau, je peux suivre tes déplacements à la trace Wes, nota la Darkane, tu es la signature énergétique la plus puissante de cette planète, aucun doute possible. Je vois que tu as décidé de rentrer chez papa et maman… Bien, nous allons donc faire de même.

    - Rentrez dans l’atmosphère, ordonna-t-elle, il est temps de le tuer… ou de le pousser un peu plus vers la folie meurtrière. L’un comme l’autre sera une expérience très amusante !

    Elle partit d’un rire dantesque mais fut vite interrompu par un Clanien inconscient :

    - Mais, impératrice, si on quitte cette localisation, vous ne pourrez plus utiliser l’amplificateur…

    Elle se tourna vers lui à une vitesse irréelle et lança son bras dans sa direction : alors que ses yeux avaient pris la couleur des ténèbres, son bras libéra une fumée noire et épaisse qui traversa le sbire pour ne laisser derrière lui qu’un cri inhumain déchirant.

    - J’en ai marre que l’on conteste mes ordres ! cria-t-elle. Alors est-ce que quelqu’un d’autre à un problème avec le fait de m’obéir en la bouclant ? Qu’on le règle tout de suite !

    Toutes les têtes étaient baissées.

    - Alors, obéissez.

     

    05

     

    Le réveil se mit à retentir : 08h00. Wesley arrêta la sonnerie redondante et désagréable. Malgré ce départ brutal dans la journée, qu’il était agréable d’être de nouveau chez soi !

    Le débarquement d’Orélia en vaisseau dans la faculté la veille lui avait fait très peur. Il avait cru qu’elle se précipiterait pour se venger sur Loïs et Marc. Mais lorsque l’adolescent était enfin arrivé en voiture le soir précédent, il avait trouvé ses parents tranquillement installés, sans la moindre trace de menace à l’horizon.

    Il avait fait un tour de ronde, personne ne les surveillait. Les deux sbires de la Darkane pendus au cou de Wesley depuis des mois ne l’avaient même pas encore rejointe.

    Ils doivent encore être en train de me chercher dans l’appartement…

    L’Astonien ouvrit les volets et les fenêtres par la pensée.

    Il était grand temps d’aérer, je me demande si maman rentre dans ma chambre pendant la semaine…

     

    Il repoussa quelques mèches rebelles, enfila un pyjama et descendit les escaliers en se frottant le visage.

    - Chéri, je t’ai pressé un verre de jus d’orange, annonça sa mère avec un grand sourire, et je pensais : raclette ce soir ?

    Wesley sourit, sa mère était aux anges qu’il soit rentré. Il avait prétexté une semaine écourtée par des conférences à la faculté. Elle proposait même son repas préféré pour le diner.

    - C’est parfait, m’man, remercia-t-il en saisissant son verre.

    - Déjà levé ? demanda son père qui entrait dans la pièce. Pour un jour où tu n’as pas cours ? Il va neiger !

    C’était tellement plaisant de vivre normalement sans se soucier de se faire attaquer à tout moment.

    - Ne dis pas ça ! Regarde, le temps se couvre, remarqua Loïs superstitieuse.

    L’Astonien fronça les sourcils : effectivement, il se mettait à faire très sombre.

    - Y-a une éclipse de prévue ? plaisanta Marc.

     

    Soudain, une chaleur insupportable envahit la maison à une vitesse incontrôlée. Les parents de Wesley se mirent à hurler. L’Astonien tenta de se protéger. Une explosion gigantesque envahit chaque recoin de la demeure. Le feu emporta tout. Le jeune homme essaya d’englober la pièce dans son champ de protection, mais il arrivait à peine à le maintenir érigé autour de sa propre silhouette. La température montait et devenait invivable. Son t-shirt s’était embrasé, des larmes brûlaient ses yeux et il commençait à étouffer. Puis, aussi vite qu’elle était apparue, la douleur s’évanouit.

    Wesley ouvrit doucement les yeux. Sa peau craquelait à chacun de ses mouvements. Il fit un tour sur lui-même pour contempler l’ampleur des dégâts. Mais il n’y avait pas de dégâts, il n’y avait plus rien. Le jeune homme était la seule personne dressée au milieu d’un cratère de cent mètres de diamètre. Tout n’était que cendre. Aucune chance de survie pour ses parents. Et toujours cette ombre qui bloquait les rayons du soleil.

    L’Astonien leva la tête…


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